On le dit taiseux. Discret. Secret. En fait, il se livre, se délivre, à condition de le suivre sur ses terres. Sur « sa » butte Montmartre. Car si Bruno Rafaud est né aux Batignolles, il a grandi entre chez Dalida, le square Junot et Le Lapin agile. « Mes grands-parents habitaient au premier étage », dit-il en pointant du doigt un immeuble au cœur de ce périmètre. Ici, il est chez lui. Il commente le quartier comme un guide. En tout cas mieux que la voix off qui s’échappe du petit train, bondé de touristes, qui sillonne Montmartre. Il le regarde passer, se faufiler, il lève les yeux au ciel. Son QG s’est aseptisé, boboïsé, dénaturé. Ça l’atterre. Ça l’attriste. Mais ça ne l’empêche pas d’être ému devant l’ex maison de Nougaro, « autrefois peinte en rose », montrer la terrasse haut perchée de Richard Berry, la maison d’Anouk Aimée, une plaque en hommage à Jean-Pierre Aumont dans l’allée des Brouillards. On voyage de La Balance à Lola, en passant par La Nuit américaine…
Il a croisé la route de Ronis, Boubat et Depardon au hasard de ses flâneries parisiennes
« Premier maquettiste » à la rédaction de Maison Française magazine, Rafaud parle peu sur son lieu de travail, mais on lui dit tout. Il incite à la confession dans les couloirs du journal, dans le métro, au resto… Il écoute. Ne répète pas ou si peu… juste pour me faire sourire entre deux bouclages. J’ai ri -mais peut-être qu’il fallait pleurer- lorsqu’il m’a dit qu’une fille avait hésité « entre faire un bébé ou acheter une R25 » : époque formidable ! Son rêve : partir dans des villes ensoleillées avec son Leica -« quand il est chez le réparateur, je ne me sens pas bien »-, un sac léger, un thermos de café -il en boit des litres- et FIP en fond sonore -comme au bureau-. S’il est scotché aux Abbesses et à la butte, le samedi il s’échappe volontiers rive gauche : pour un café au Danton, un bouquin déniché à L’Ecume des pages. Celui qui a croisé la route de Ronis, Boubat et Depardon au hasard de ses flâneries parisiennes est un modèle « à l’ancienne ». Un « intense », a dit de lui un confrère journaliste. Né en 1960, Rafaud est allé au lycée Condorcet « comme Gainsbourg », affiche ses origines arméniennes « comme Mannix » et a vu Le fantôme de barbe noire en 1968 au Marcadet-Palace… comme Bruno Comtesse, qui signe cette photo.