« Je vous attends à 11 heures au 66… » Le SMS est envoyé par le designer, architecte et photographe Marc Held. Le « 66 », c’est le 66 rue Lhomond à Paris. Une maison XVIIIe, au cœur du 5e arrondissement, transformée en « bed & breakfast » par sa fille Marion, antiquaire. Ici, pas de télé, pas d’ascenseur non plus, mais de la pierre au sol, des tomettes dans les escaliers, un parquet ancien dans les 4 chambres et un jardin. C’est bien connu : pour vivre heureux, vivons cachés. Si bien que pour entrer au « 66 », il faut un code, sinon la porte reste close.

« Les bagnoles, les fringues… je m’en fous ! »

Installé dans un fauteuil, les yeux rivés sur son portable, Marc Held est au rendez-vous. Avec l’allure d’un jeune premier. Les pieds nus dans une paire de mocassins, il porte un jeans blanc, un col roulé gris perle et un flight jacket qui a vécu, comme lui. À 93 ans, il surfe sur le Web, envoie des messages sur WhatsApp et répond au téléphone à la personne qui viendra le chercher le lendemain à l’aéroport de Dakar. Car sa dernière prouesse architecturale se situe dans le village de Samba Dia, au Sénégal. Il s’agit d’une école maternelle, qui a ouvert ses portes en octobre dernier et fait l’objet d’un ouvrage paru aux éditions Norma*. « Ce projet m’a réhabilité à mes propres yeux », confie Marc Held. En disant cela, il ne renie en rien son passé. Un passé composé de pièces de mobilier dessinées pour Prisunic comme pour Knoll. Un passé où il a été convié à participer à l’aménagement des appartements de l’Elysée en 1983. Un passé de créateur « star » et d’architecte jusqu’au-boutiste. En 1989, lorsqu’il laisse à ses équipes son agence d’architecture à Paris, il part s’installer avec sa femme Vilma, architecte elle aussi, sur l’île de Skopelos, en Grèce. Ils vont y bâtir leur maison, puis une douzaine d’autres pour des amis. Architecte de terrain pour les uns, Marc Held se sent surtout proche de l’artisan et de « l’architecte de campagne », « comme il existe des médecins de campagne… » Ce qu’il recherche avant tout et depuis toujours, « c’est la liberté ». Et ce, « du premier coup de crayon jusqu’à la livraison d’un projet ». Il ajoute : « Les bagnoles, les fringues… je m’en fous ! L’important, c’est d’être libre. »

« Je me sens écolo-libertaire… »

Des liens anciens avec le Sénégal ont conduit Marc Held jusqu’à Samba Dia. Quant à la création d’une école, le défi lui a plu. C’était à la fois venir en aide « à ceux qui n’ont rien » et faire écho à sa propre enfance. Né dans une famille juive émigrée d’Europe centrale, il a d’abord vécu à Bagnolet – où pour se faire accepter, il va « tout lire » et « beaucoup apprendre » -, puis dans une ferme en Corrèze durant l’Occupation. Une période où, dès l’âge de 12 ans, il participe à la Résistance en devenant agent de liaison. Un épisode de sa vie qui lui vaut aujourd’hui une Légion d’honneur attribuée à titre militaire. Celle-ci lui sera remise, d’ici à l’été, des mains du sociologue et philosophe Edgar Morin. « Un homme de gauche, comme moi », dit encore Marc Held, qui se sent volontiers « écolo-libertaire », « à l’image du philosophe américain Murray Bookchin ». Aucun opportunisme, ici, dans l’usage du mot « écolo ». Marc Held est sensible à la protection de l’environnement depuis les années 1960. Son travail d’architecte le prouve aussi bien en Grèce qu’avec L’école du Centre de la terre, à Samba Dia, construite – en 9 mois - avec des briques de terre moulées et séchées au soleil. Quant aux salles de classe, elles sont toutes « climatisées » grâce à une ventilation naturelle qui évacue l’air chaud par une cheminée centrale et des ouvertures qui laissent entrer l’air frais. « Dans un pays comme le Sénégal, le rôle de l’architecte consiste à apporter de l’ombre », poursuit Marc Held. Dans l’école de Samba Dia, il a donc imaginé des préaux abrités par des auvents de paille. Enfin, pour empêcher de mettre un élève au coin, il a pensé chaque classe selon un plan… octogonal.

« J’ai enfin fait quelque chose d’utile »

Le 8 mai prochain, à Venise, à l’occasion de la Biennale d’architecture, l’école maternelle de Samba Dia fera partie du Palmarès du Grand Prix AFEX 2025 de l’architecture française dans le monde. « J’ai enfin fait quelque chose d’utile », commente Marc Held. Il s’explique : « En octobre dernier, 80 enfants ont été scolarisés dans cette école et 40 autres le seront à la rentrée prochaine. C’est l’accès au savoir pour plus d’une centaine de gosses. Le reste ne veut rien dire…» Il se souvient être venu sur le chantier sénégalais « tous les jours, du matin au soir, avec les équipes ». « Si on se comporte comme un artisan, on peut produire du détail. Et ce sont les détails qui font la perfection, disait Léonard de Vinci. » L’autre message de Marc Held aux jeunes générations : « Faites de la politique ! Intéressez-vous à la vie de la cité. Agissez ! » Enfin, à l’issue de ce rendez-vous de 50 minutes chrono au « 66 », l’ultime question a été : que vouliez-vous faire comme métier, quand vous étiez petit ? Réponse de Marc Held : « À la fin de la guerre, lorsque nous avons quitté la Corrèze pour revenir à Paris, je voulais devenir vétérinaire pour retourner travailler dans cette ferme où l’on nous avait si bien accueillis. »

*Samba Dia – L’école du Centre de la terre, par Marc Held / introduction de Michèle Champenois / Norma éditions – 80 pages – 19€