On ne nait pas chef de cuisine, on le devient. Mais dans le cas de Youssef Marzouk, le terrain était d’emblée plus que favorable, avec une mère restauratrice et un père pâtissier. Mieux encore : le couple a fait l’acquisition d’un établissement en région parisienne, une semaine avant la naissance de leur fils. Et cerise sur le gâteau : pour calmer le jeune Youssef, entre les poussées dentaires et l’attente d’un biberon, « mes parents me mettaient devant l’émission de télé Bon appétit bien sûr, animée par Joël Robuchon ». Malgré cela et parce qu’il était doué en maths, physique et chimie, Youssef Marzouk a passé un bac scientifique et intégré l’Université Pierre-et-Marie-Curie (Jussieu), à Paris. « Mais je ne me voyais pas toute ma vie dans un labo ! » Il veut de l'action. Il veut mettre la main à la pâte, rouler dans la farine, casser du sucre, s’occuper de ses oignons, mettre de l’huile sur le feu et du beurre dans les épinards, bref gagner sa croûte en faisant de la cuisine ! Ses parents le mettent en garde : « C’est un métier très physique qui demande beaucoup d’heures… » Mais il en faut plus pour dissuader celui qui a réalisé son premier gâteau au chocolat lorsqu’il était tout juste en CP. À 20 ans, il plaque la fac. Direction une « mise à niveau » au lycée hôtelier de Saint-Quentin-en-Yvelines. « Je vivais alors chez mes parents à Montreuil et j’avais 1h40 de trajet le matin et autant le soir », se souvient Youssef Marzouk. Un rythme d’enfer qu’il va tenir jusqu’à décrocher un BTS et une mention complémentaire en « desserts de restaurant », « car j’aime autant cuisiner le salé que le sucré ».

Lieu jaune, courgette curcuma, par le chef Youssef Marzouk - © Ilya Kagan

Piste aux étoiles

Motivé, déterminé, inspiré, Youssef Marzouk va privilégier quelques grandes tables de la piste aux étoiles Michelin pour ses stages, extras et premiers pas de cuisinier. Il a ainsi travaillé aux côtés des chefs Alain Dutournier, Christophe Raoux, Éric Frechon ou encore Alain Solivérès. En 2017, il rejoint le chef Nicolas Sale au moment de la réouverture du Ritz, à l’issue d’une longue vague de travaux. Là, il passe de commis à chef de partie à La Table de l’Espadon, auréolée de deux macarons Michelin. La suite : un poste de chef pâtissier, puis de chef de partie au restaurant Tomy and Co, sous l’égide de Tomy Gousset, jusqu’à intégrer Le Tout-Paris, au sein de l’hôtel Cheval Blanc, où il devient le sous-chef de William Bequin. Il s’imprègne alors du travail et de la signature des sauces auprès d’Arnaud Donckele, le chef triplement étoilé du restaurant Plénitude-Cheval Blanc Paris. « C’était une ouverture de restaurant et donc une occasion de partir de zéro, raconte Youssef Marzouk. J’avais envie de vivre cette expérience, qui s’est révélée rude mais formatrice. » En avril 2023, il se hisse au rang de chef exécutif chez Jacques Faussat, dans le 17e arrondissement, où il peaufine les contours d’une cuisine de caractère, maintient l’étoile Michelin, obtient 15/20 au Gault & Millau.

Précision des accords et justesse des cuissons

Pré-dessert citron géranium rosa, par le chef Youssef Marzouk - © Ilya Kagan

« Très jeune, j’ai su que je voulais être chef de mon propre restaurant », confie Youssef Marzouk. Lorsqu’un investisseur l’approche au printemps 2024, il se sent prêt. En août de cette même année, le trentenaire ouvre Aldéhyde, rue du Pont Louis-Philippe, entre bords de Seine et Marais. « Aldéhyde, du nom de la molécule contenue dans la coriandre, le cumin, la fleur d’oranger ou encore le géranium », explique le chef. Autant de plantes et de fleurs qui témoignent de ses origines tunisiennes comme de son attachement aux saveurs venues d’ailleurs. Sa cuisine ? Française dans la précision des accords et la justesse des cuissons. Teintée de Méditerranée dans les compositions calquées sur les souvenirs d’enfance du cuisinier. À l’instar du pré-dessert au géranium rosa et notes de citron jaune, inspiré des petits déjeuners qu’il prenait sur la terrasse de la maison familiale avec sa mère. Ou encore sa version des After Eight, qu’il ramenait à son grand-père lors de ses visites, avec du chocolat noir fumé travaillé en trois façons, auquel la tagète apporte une note herbacée tout en légèreté. Côté salé, une purée d’artichaut s’allie à la feuille de figuier, le lieu jaune de ligne est confit dans une huile de verveine, le lomo de cabillaud vapeur s’acoquine à une déclinaison de carottes, beurre blanc curcuma, le plat-signature se compose d’une selle d’agneau à la fois grillée au barbecue et confite comme un pressé… L’utilisation des vinaigres, herbes et épices rythment le tout. Quant au verre d’eau de tomate infusée à la fleur d’oranger et au basilic, il vient rafraichir le palais entre deux plats. Le tout concocté dans une cuisine grande ouverte sur une salle sans ostentation, décorée avec soin et bon sens par l’architecte d’intérieur Séverine Nenciarini.

Compagnons de route et esprit d’équipe

Dessert chocolat tagète, par le chef Youssef Marzouk - © Ilya Kagan

Au fil de son parcours, Youssef Marzouk a rencontré ceux qui sont devenus ses chefs adjoints, Louis Beaurepaire et Julian Patary, découverts respectivement au Ritz et au Cheval Blanc. Quant à Thibault Blanche, le directeur de salle – capable de recommander aussi bien le Chenin bio Dis-Moi Oui du Domaine du Fief noir que la tibarine, une liqueur de datte typiquement tunisienne -, c’est dans les cuisines de Jacques Faussat que Youssef Marzouk a fait sa connaissance. Compagnons de route, ils sont tous associés dans l’aventure Aldéhyde. Un parti pris qui soude, renforce l’esprit d’équipe et « donne envie de se dépasser », souligne le chef. Au quotidien, poursuit-il, « chacun apporte ses idées, aussi bien pour le salé que pour le sucré ». Et ça leur réussit. Le critique gastronomique du Figaro, Emmanuel Rubin, les a gratifiés de « meilleure table de la rentrée 2024 » avec une note de 8,5/10. « Un sacré coup de pouce » reconnaît Youssef Marzouk, qui veille à partager de manière équitable vie pro et vie perso. « Même si je ne dors en moyenne que 5 heures par nuit et que je cuisine aussi à la maison ! »

Aldéhyde : 5 rue du Pont Louis-Philippe, Paris 4e – Le midi : du mercredi au samedi – Le soir : du mardi au samedi. Réservation : 09 73 89 43 24.

Au déjeuner : entrée-plat-dessert : 45€ / entrée-plat ou plat-dessert : 35€

Au dîner : menu en 5 ou 7 temps (95€ et 120€)