« Je travaille un matériau issu du chaos. » C’est en ces termes que Lydia Belghitar parle de la pierre de lave. Une matière première qu’elle émaille à très haute température, dans son atelier des Côtes d’Armor, avec sa complice Jessica Richard. Deux profils et deux talents qui composent le Studio Ler, dont l’histoire débute en 2014. Lydia Belghitar est alors designer et architecte d’intérieur pour Ikea à Tours, sa ville natale. Avec son mari, tailleur de pierre, ils viennent de découvrir l’émaillage sur lave : une discipline qui pourrait leur permettre d’associer leur savoir-faire, œuvrer de concert, créer ensemble…

De Tours à la chaîne des Puys…

Gamine, quand elle ne dessinait pas, Lydia Belghitar coupait, découpait ou manipulait un appareil photo… Le bac « arts plastiques » relevait donc de l’évidence pour la jeune Tourangelle. Puis, direction Angoulême pour un BTS « design d’espace », avant d’intégrer les Beaux-Arts d’Angers. La suite : un stage auprès du designer Mathieu Lehanneur – « où j’ai découvert que l’on pouvait se marrer et faire des expérimentations un peu folles dans une agence… » - ainsi que des missions en freelance pour l’architecte d’intérieur tourangeau, Jean-Paul Marzais. À la fin des années 2000, Ikea l’embauche. Parallèlement, Lydia Belghitar et son époux Renato s’intéressent de près à l’émaillage sur lave. Ils ont envie de travailler ensemble et cette technique serait l’occasion de concrétiser leur souhait. Elle dessine. Il taille la pierre. Elle imagine. Il concrétise… Du jour au lendemain, ils quittent Tours pour l’Auvergne et sa chaîne des Puys, qui compte quelque 80 volcans. En 2014, ils posent leurs valises à Cébazat, près de Clermont-Ferrand, où Lydia Belghitar poursuit sa collaboration avec Ikea. Pendant ce temps, son mari se forme au métier d’émailleur sur lave à l’École d’architecture de Volvic. « Il ramenait ses sujets et cas pratiques à la maison, c’est comme ça que je me suis formée à mon tour », se souvient la designer. Le couple s’équipe et fait l’acquisition d’un four. « J’émaillais un peu avec Renato… Studio Ler était né, sans trop savoir où nous mettions les pieds. »

De l’Auvergne à Saint-Nicolas-du-Pélem…

Le site Web était prêt. Les premiers prototypes avaient vu le jour. Mais tout s’est arrêté. Net. Le diagnostic est tombé. Sec. « Leucémie aigüe », a dit le médecin. « Renato a été hospitalisé et nous avons mis le Studio Ler ente parenthèses de 2015 à 2018 », raconte Lydia Belghitar. Ce qui n’a pas empêché le duo de se former et s’informer encore sur le métier d’émailleur sur lave. « Et ce, jusque sur le lit d’hôpital de Renato ! C’était une façon de continuer à bâtir notre projet », confie Lydia Belghitar. Une façon aussi de rester soudés, combatifs, plein d’espoir. En 2018, un rapprochement familial s’impose en Bretagne, dans les Côtes d’Armor. La designer quitte Ikea. Avec son mari et leur fils Elio, ils s’installent à Saint-Nicolas-du-Pélem, 1 500 habitants, à 30 minutes de Saint-Brieuc. « Nous sommes partis dans l’optique de guérir, trouver un contexte familial solide et ouvrir notre atelier », détaille Lydia Belghitar. Mais le sort s’acharne. « Renato est mort un mois après notre arrivée. C’était en mars 2018. »

Double regard et circuit court

« Poursuivre notre projet était une évidence pour moi. Le seul doute que j’avais, c’était de me retrouver seule à valider une idée, une façon, une réalisation. Allais-je en être capable ? » Lydia Belghitar s’associe alors à sa belle-sœur, Jessica Richard, autodidacte mais prête à faire vivre Studio Ler et continuer, ainsi, le travail de son frère. « Pour elle, c’était à la fois une envie et un devoir », souligne la designer. Assez vite, le duo se partage les tâches. Et ce d’autant que les profils se complètent. Jessica Richard s’empare du façonnage de la lave et du planning de production. Lydia Belghitar dessine, aide à la conception et à l’émaillage, tout en retrouvant ce « double regard » qu’elle redoutait de perdre. Aujourd’hui encore, elles ne sont que deux à l’atelier de Saint-Nicolas-du-Pélem. Un tandem qui sollicite, si besoin, un métallier et trois ébénistes, installés dans les environs. Circuit court toujours. L’utile avant le futile. La durabilité et la qualité au détriment de la quantité... Telles sont quelques-unes des priorités de Lydia Belghitar et Jessica Richard, qui privilégient la pièce unique et se fournissent en pierre de lave dans une carrière, en Auvergne, « où l’extraction ne se fait que selon les besoins ». Leur clientèle ? Des particuliers, un peu. Des architectes d’intérieur, beaucoup. Elles ont ainsi réalisé des plateaux à la demande de l’agence RDAI, pour la rénovation de la boutique Hermès de Nantes. Actuellement, elles planchent sur une signalétique destinée au groupe LVMH, pour l’un de ses bâtiments privés. Mais elles travaillent aussi avec des artistes, à l’instar de Victor Cadene. Enfin, elles s’autorisent au moins une création personnelle par an, « pour nous amuser, nous faire plaisir et nous affranchir du cadre de la commande, même si nos clients nous laissent de plus en plus carte blanche et s’adaptent à nos contraintes. À commencer par celle de n’avoir qu’un four de taille moyenne… »

« Ma scéno tient dans une grosse valise »

Pour faire savoir leur savoir-faire « de niche », Lydia Belghitar et Jessica Richard ont d’abord participé à des salons locaux, des événements d’artisans, répondu à des interviews dans la presse du Grand Ouest… Puis, elles ont découvert Instagram, que la designer compare à « notre porte ouverte sur le monde ». À cela s’ajoute leur présence aux « Rendez-vous de la Matière », à Paris : « C’est un salon à taille humaine. Ma scéno tient dans une grosse valise, ce qui me permet d’y aller en train », confie Lydia Belghitar. Quant à transmettre l’art de l’émaillage sur lave, la designer s’y emploie en accueillant des stagiaires ou en animant des worshops. Enfin, lorsqu’elle n’est pas dans les Côtes d’Armor, Lydia Belghitar séjourne à Paris le temps d’une expo ou de l’effervescence d’un vernissage. Autres de ses QG : le bistrot Le Tourangeau, sur ses terres à Tours, ou encore une herboristerie planquée à 20 minutes de route de Saint-Nicolas-du-Pélem, dont elle apprécie le chaï latte. Des plaisirs simples comme elle et comme la signification de Studio Ler : « Ler, c’est le L de Lydia, le E d’Elio, mon fils, et le R de Renato, mon mari. »

Studio Ler est aussi ICI