2022. Annie Ernaux vient de publier Le Jeune Homme, chez Gallimard. Un ouvrage de 48 pages, dans lequel elle raconte, à sa façon, son aventure amoureuse avec Philippe Vilain, de trente ans son cadet. C’était durant les années 1990. Il était encore étudiant. Elle avait déjà décroché le Prix Renaudot... Retour à 2022. Philippe Vilain boit un café au Hibou, du côté de l’Odéon, à Paris. La lecture du Jeune Homme l’a agacé, blessé, déçu. Parce qu’il ne s’est pas reconnu. Parce qu’il s’est vu relégué à un rôle d’amuse-gueule, alors que la réalité était toute autre à ses yeux. Frustrant. Riposter ? Répondre ? Il y songe. Janvier 2025 : c’est chose faite avec la sortie de son livre Mauvais Élève, chez Robert Laffont. Un ouvrage de 236 pages qui va bien au-delà de son histoire avec Annie Ernaux. Certes, c’est un épisode clé de sa vie, mais il le remet en perspective, notamment avec ses débuts chaotiques, car cancre en classe, adepte des redoublements à répétition, doué en rien, mauvais en tout, sauf au foot et pour chouraver quelques bricoles tombées du camion… Comment est-il passé du lycée technique à l’université et d’une détestation de la lecture à une passion pour la littérature ? Philippe Vilain l’explique dans Mauvais Élève, qui se veut à la fois récit de transfuge de classe et réaction au Jeune Homme d’Annie Ernaux, désormais prix Nobel de littérature.
Les écrivains comme « éclaireurs »…
Tout dire ? Pas si facile à faire. Par peur d’égratigner les uns, par crainte d’éborgner les autres… Pour Philippe Vilain, « dire tout » relevait plutôt d’une volonté de rétablir une vérité. La sienne. Celle qui débute dans les mauvais bâtiments d’une cité des environs de Rouen. Là où vivent les graines de voyous. Là où survivent tous les « sans » : sans emploi, sans papier, sans ressource... Là où l’on boit plus que de raison. Là où ça vole. Là où ça deale. Là où ça craint. Orienté vers un lycée technique, Philippe Vilain va suivre une formation pour devenir sténo-dactylo. Le clavier, ça le connaît, mais surtout ça l’ennuie. L’année du bac, il se dit que rien n’est « perdu » pour lui. Les cours de français et de philo l’intéressent. C’est le déclic : il ouvre et lit ses premiers « classiques ». En vrac : La Nausée de Jean-Paul Sartre, Les Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir, L’Étranger d’Albert Camus, la Lettre au père de Franz Kafka, L’Été 80 de Marguerite Duras… Philippe Vilain pressent alors que « les écrivains seraient les éclaireurs que je n’avais jamais rencontrés ».
Hasard, destin et autres coïncidences
À 20 ans, il dévore les bouquins. Comme le faisait Martin Eden dans le roman éponyme de Jack London. « Je n’attendais pas seulement que la littérature me sauve, mais aussi qu’elle m’envoûte, qu’elle m’engloutisse dans ses mots et m’emporte dans ses fictions, loin des rives du réel, jusqu’à me faire oublier qui j’étais », écrit Philippe Vilain. Dans Mauvais Élève, il évoque aussi sa mère, telle une combattante, ainsi que l’alcoolisme de son père, dont il garde en mémoire les fins de soirées où il devait le ramener, ivre, jusqu’au domicile familial. Un père en perte de repères. Et pourtant c’est par lui que la rencontre avec Annie Ernaux va se faire. Une drôle d’histoire de livre acheté dans une brocante… Hasard ou destin ? Peu importe. Philippe Vilain est alors étudiant en lettres modernes à l’université de Rouen. Son appartement fait face à l’Hôtel-Dieu, là où Annie Ernaux a avorté en 1963, alors que l’IVG était encore condamnée par la loi française. Elle avait 23 ans, elle étudiait à l’université de Rouen… La liste des coïncidences va s’accumuler et rapprocher l’apprenti-écrivain de celle qui l’est déjà devenue. Ils vont s’écrire, s’aimer, s’observer, se quitter. Une aventure qui s’étend sur cinq années et va ouvrir les portes du monde des lettres au jeune Vilain. Mais pas que… Voyages, grands hôtels, chambres avec vues, musées, cinémas, tables gastronomiques, mondanités - avec leur lot de postures et impostures -… vont également animer son quotidien et parfaire sa culture générale. Le début d’une autre vie. Une sorte de bout d’essai, qu’il va transformer une fois séparé d’« Annie ». De quelle façon ? En publiant ses premiers romans, en soutenant son doctorat dans la bibliothèque de philosophie de la Sorbonne, en décrochant le prix François-Mauriac de l’Académie Française pour Paris l’après-midi ou encore le prix Jean-Freustié pour La Femme infidèle. À cela s’ajoute l’adaptation au cinéma de Pas son genre, avec Lucas Belvaux à la réalisation.
« La métamorphose d’un jeune homme du peuple »
« Mon histoire est celle d’un miraculé social, mon odyssée celle de la métamorphose d’un jeune homme du peuple », écrit Philippe Vilain dans Mauvais Élève. Un ouvrage juste, fort, enlevé. Une autofiction qui apporte un nouvel éclairage sur la totalité de l’œuvre de cet auteur majeur, qui enseigne aujourd’hui la littérature française à l’université Federico II de Naples.
Mauvais élève, de Philippe Vilain. Éditions Robert Laffont. 20€ - en librairie le 9 janvier 2025.
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Et aussi : conversations entre Philippe Vilain et Anne Éveillard
> mercredi 5 février 2025 à 12h30 au Théâtre de l’Île Saint-Louis - Paul Rey (39 quai d’Anjou, Paris 4e) – réservation : animationculturelleparis1@orange.fr
> mardi 11 février 2025 à 18h chez French Theory (18 rue Cujas, Paris 5e)