Letizia Battaglia (1935-2022) fait partie de ces personnalités engagées, courageuses, audacieuses, qui ont pu (peuvent encore ?) donner envie à certains de devenir photographe ou journaliste, pour montrer, raconter, témoigner... « J'ai toujours cherché la vie », disait celle qui a notamment immortalisé la mafia sicilienne qui régnait en Italie durant les années de plomb. Mais l’œuvre de cette photographe, née à Palerme, est colossale et va au-delà de Cosa Nostra. On parle de 500 000 images produites… Jusqu’au 18 mai 2025, le Jeu de Paume, au Château de Tours, rend hommage à Letizia Battaglia à travers une rétrospective rythmée par quelque 200 tirages originaux. Le tout servi par un accrochage irréprochable, qui parvient à transmettre la fougue, la passion et l’engagement d’une femme que l’on avait pourtant mariée à 16 ans, puis cantonnée à un rôle de mère au foyer, alors qu’elle avait tant à dire et montrer…

Via Calderai.
Palerme, 1991 - Letizia Battaglia © Archives Letizia Battaglia

Pier Paolo Pasolini au Circolo Turati. Milan, 1972 - Letizia Battaglia © Archives Letizia Battaglia

Au cœur des guerres entre clans mafieux

Le déclic a lieu à la trentaine passée.  En 1969, Letizia Battaglia, alors mère de trois filles, signe ses premiers articles pour L’Ora, un quotidien de gauche sicilien. Deux ans plus tard, elle divorce et part vivre à Milan avec ses enfants. En tant que journaliste, elle collabore pour des revues - Ore et ABC - et réalise ses premiers reportages sur le corps féminin nu, un sujet qui suscite sa curiosité au début de la libération sexuelle en Italie. Autres de ses thèmes de prédilection en photo : le quotidien des Milanais et les intellectuels que sont alors l’écrivain Dario Fo ou encore le réalisateur Pier Paolo Pasolini. En 1974, c’est le retour à Palerme, où Letizia Battaglia dirige la photographie de L’Ora. À cette époque, la cité sicilienne se retrouve au cœur des guerres entre clans mafieux. D’où l’envie de la photoreporter de témoigner de cette violence ambiante. Ses images marquent les esprits et la font remarquer, jusqu’à devenir persona non grata auprès de certains politiques. Parce qu’elle montre tout. À commencer par les victimes de la mafia, tuées, ensanglantées, abandonnées à même le sol… Parmi ses clichés les plus célèbres, figure celui du futur président de la République italienne, Sergio Mattarella, sortant de la voiture son frère Piersanti Mattarella, président de la région Sicile, tout juste tué par la mafia locale.

Quartier Saint-Pierre.
Palerme, 1976 - Letizia Battaglia © Archives Letizia Battaglia

« La fonction sociale » d’une image…

Rosaria Schifani, veuve du garde du corps Vito, tué avec le juge Giovanni Falcone, Francesca Morvillo et ses collègues Antonio Montinaro et Rocco Di Cillo. Palerme, 1992 - Letizia Battaglia © Archives Letizia Battaglia

À l’écoute des autres, au plus près d’une société qui change, sans cesse sur le vif, Letizia Battaglia s’intéresse aussi aux contrastes saisissants qui font la Sicile. Une autre facette de son travail de photographe consiste, en effet, à braquer son objectif sur l’extrême pauvreté, d’un côté, et le quotidien des classes plus aisées, de l’autre. Deux mondes que tout oppose et qui pourtant coexistent… L’expo du Jeu de Paume complète ces points de vue par une série d’images réalisées, par la photographe italienne, au sein de l’hôpital psychiatrique de Palerme. C’est dur. C’est fort. Cela ne peut laisser indifférent. Ni aujourd’hui, ni à l’époque… Letizia Battaglia était convaincue de « la fonction sociale » d’un article, d’une image, d’un témoignage. Élue au conseil municipal de Palerme de 1987 à 1990, puis députée de l’Assemblée régionale sicilienne, son engagement a été politique, aussi. Culturel, enfin, avec l’inauguration, en 2017 d’un centre international de la photographie à Palerme, la ville de sa vie.

Exposition « Letizia Battaglia », jusqu’au 18 mai 2025 au Jeu de Paume, au Château de Tours (25 av. André Malraux, 37000 Tours) – Tél : 02 47 21 61 95. Et aussi : ICI