Il vit sans voiture… à Los Angeles. Si bien qu’Alexis Chenu connaît la Cité des Anges comme personne. Depuis 2020, il sillonne cette ville à pied, en bus, en métro, en taxi, à vélo… « Ça ouvre l’esprit », assure-t-il. S’il laisse souvent perplexes bien des Californiens, la maison Louis Vuitton lui a confié la rédaction en chef de son City Guide consacré à L.A. Puis celle du volume ciblé sur San Francisco. Une marque de reconnaissance pour ce journaliste de 47 ans, électron libre, tête chercheuse, fouineur, dénicheur, qui se dit « l’âme voyageuse » : « Je n’ai pas d’attache. Je passe 150 nuits par an à l’hôtel. Mon empreinte carbone est un désastre ! »

Picardie, Astaffort et rue Campagne Première…

Très tôt, Alexis Chenu a voulu devenir journaliste. À 7 ans, il réalisait un fanzine, en plusieurs exemplaires « recopiés à la main », qu’il vendait dans le village de Picardie où il a grandi. Puis, direction la Sorbonne, où il va décrocher un master en histoire-géographie. « J’ai toujours vu Paris comme une ville liée au travail. Je l’aime pour son foisonnement et sa culture, mais je ne m’y sens pas à ma place », confie-t-il tout en commandant un chocolat chaud au bar du Lutetia. Son premier job ? Ce sera au milieu des années 2000, dans la presse gratuite. Ses confrères le regardent un brin de travers : ne pas payer pour s’informer, c’est alors impensable… Les journaux auxquels il collabore s’intitulent Femme en ville et Homme en ville. La salle de rédac’ se situe à Astaffort, dans le Lot-et-Garonne. Alexis Chenu ne coche aucune case du journaleux branchouille du moment. Il s’en moque. Durant deux ans, il va apprendre, découvrir, écrire, bouger, voyager, avant de rejoindre la rue Campagne Première, à Paris, où il va intégrer la rédaction du magazine Têtu. Il a 28 ans. On lui confie les pages « voyage » et « cuisine ». Les sujets dont il se souvient encore ? « Mon reportage à Lausanne, dans le plus grand sauna gay d’Europe, et celui dans un camping gay du Sud-Ouest de la France… » Des immersions de plusieurs jours. Pour voir. Pour savoir. Pour raconter.

Chenu, le chineur

Quatre années chez Têtu et une courte expérience à Télé Star, ça booste un carnet d’adresses. Lorsqu’Alexis Chenu se lance en freelance, à l’orée des années 2010, il trouve des piges dans des titres tels que Glamour, Le Nouvel Observateur, Le Parisien, The Good Life, Numéro… Ses domaines de prédilection : la mode, le voyage, les hôtels, les restos, le design… Il opère. On le repère. À commencer par le journaliste Pierre Leonforte, qui le sollicite pour collaborer au City Guide Louis Vuitton consacré à Paris. La mission de Chenu, le chineur ? « Chercher la rareté, dénicher la singularité, défricher là où peu s’aventurent, dans les secteurs de la mode et de la nuit. » Il va ainsi plancher sur une dizaine d’éditions du guide parisien, participer au City Guide consacré à Arles et signer quelques chapitres de la version new yorkaise. Parce que depuis l’adolescence, il passe près de trois mois par an aux États-Unis, à New York et Washington notamment, où réside une partie de sa famille. « Je n’ai jamais cessé d’aller aux USA. Si bien que je me suis marié deux fois, avec des Américains ! »

Ultra moderne solitude

2020 marque un tournant dans la vie d’Alexis Chenu. Il passe les périodes de confinement à Paris, une ville où, dit-il, « je ne respirais plus ». Ras le bol du snobisme des uns. Overdose de la suffisance des autres. « J’avais besoin de nouvelles relations humaines. Je recherchais un nouveau souffle. J’avais envie d’espace. » Il s’organise, boucle ses bagages, rend les clés de son appartement parisien, puis direction Los Angeles, qu’il connaît déjà pas mal. Coup du hasard : la journaliste, auteur et touche à tout, Claude Deloffre, installée à Paris et L.A., cherche à passer le relais de la rédaction en chef du City Guide Louis Vuitton consacré à Los Angeles. Coup de bol : elle refile le bébé à Alexis Chenu. « L’opportunité tombait à pic », reconnaît-il, tout en se remémorant les hôtels et motels où il a vécu durant trois mois pour s’immerger, s’imprégner, s’emparer de cette ville tentaculaire de près de 4 millions d’habitants. Son premier appart’ ? « C’était dans un immeuble Art déco du quartier de Los Feliz. J’avais 43 ans et l’impression de tout recommencer à zéro. » Avec une ultra moderne solitude à dompter, apprivoiser, épouser, « sans que ce ne soit un poids, sans être malheureux non plus ». Les images qu’il poste depuis 2020 sur son compte Instagram en témoignent. Ce sont celles d’un flâneur solitaire qui dévore une ville jusqu’à son trognon. Ce sont celles d’un voyageur qui porte sa liberté en bandoulière, pour ne jamais s’en séparer.

De Stalingrad à Downtown L.A.

© Thecollaborationist

« L.A., c’est environ 3 000 dollars par mois, pour vivre dans un 60 m2. » Pas toujours évident. Depuis cet automne 2024, Alexis Chenu a emménagé dans un appartement du fameux Downtown L.A., le cœur historique de la Cité des Anges. « C’est l’un des quartiers les plus intéressants, mais c’est aussi l’un des plus dangereux. » Proximité de Skid Row oblige. Skid Row compte, en effet, la plus haute concentration de sans-logis des États-Unis et affiche une criminalité 69 fois supérieure au reste de Los Angeles, selon le programme Safer Cities Initiative. Pas de quoi dissuader notre explorateur, qui en a vu d’autres lorsqu’il vivait tout près du métro Stalingrad, à Paris… « Je déteste les lieux aseptisés. Je refuse de vivre dans une bulle. Dans mon immeuble à L.A., je cohabite avec une star du porno, une influenceuse, une vieille dame, un créateur de mode, des salariés mexicains… » Et de poursuivre ses confidences en expliquant qu’il flippe davantage qu’à Skid Row, lorsqu’il fait son jogging hebdomadaire, en solo, du côté des canyons de Los Angeles, « où je redoute de croiser… un puma ».

Front row et fringues improbables

Aujourd’hui, si on le cherche dans Los Angeles, pas si simple de le trouver. Parce que dans une même journée, Alexis Chenu peut fréquenter le front row d’un défilé Balenciaga, grignoter dans un diner, farfouiller dans une boutique de fringues improbables, noyer ses états d’âme dans un cocktail coloré… Et pour cause : c’est le correspondant californien du Figaro.fr et des guides Cartoville pour les éditions Gallimard, mais il est aussi l’une des plumes de FashionNetwork, French MorningEnvols – le mag d’Air France – ou encore de Beau Magazine. Dans son portefeuille : une carte de presse, un visa qu’il renouvelle régulièrement et un permis de conduire « pour faire le tour de la Californie dans des voitures de location ». Le rêve de celui qui a déjà usé moult paires de pompes dans quelque 70 pays ? « Aller en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Nouvelle-Calédonie. » Ses mots de la fin : « Je ne vis pas pour être riche, mais pour être heureux. »