Rentrée très classe à l’Académie internationale de coupe de Paris (AICP). Bon nombre de petites mains de grandes maisons de couture sortent de cette école, voisine des bâtiments de France Télévision, dans le XVe arrondissement. Si bien que les étudiants comme les enseignants ne sont jamais à l’abri d’un micro-trottoir à réaliser en urgence. Le 18 juin dernier, c’est Christine Walter-Bonini, la présidente de l’AICP, qui a été harponnée. Un duo de journalistes voulait son avis sur la disparition de l’actrice Anouk Aimée. « C’est une femme que j’admirais beaucoup », a confié l’interviewée à la terrasse d’un café de la rue Leblanc. Une personnalité qui inspire, comme les apprécie Christine Walter-Bonini, toujours en quête d’inédit, d’insolite, d’idées qui font avancer ou permettent un pas de côté qui peut tout changer. Une curiosité qu’elle cultive. Tête chercheuse, elle est à l’affût des jeunes talents. Ceux qui ont « deux cerveaux », comme elle dit : « Un créatif et un plus rigoureux, car la maîtrise de la géométrie et des volumes, c’est ce qui fait la différence entre deux vêtements. » Une règle d’or à l’AICP, seule école de mode entièrement consacrée au métier de modéliste, depuis 1830.

Une fibre pédagogique développée dans les jurys de fin d’année…

La mode, c’est sa vie. « Depuis toute petite, j’ai toujours su que je voulais travailler dans ce secteur. » Un passage à l’École des cadres, un autre à l’École française des attachés de presse, puis Christine Walter-Bonini n’a eu de cesse d’accompagner de jeunes créateurs. D’abord au Salon de l’habillement masculin dans les années 1980 – « j’ai assisté à l’émergence de la vague des Belges » -, puis en créant son propre salon Casabo en 1999, jusqu’au Salon du prêt-à-porter féminin qu’elle a intégré par la suite. Sa fibre pédagogique ? Elle l’a développée en participant à des jurys de fin d’année dans de nombreuses écoles de mode. Quand d’aucuns rechignent à s’y rendre, préférant le front row d’un défilé en vue, Christine Walter-Bonini y voit des viviers de futures pépites. C’est d’ailleurs en acceptant de faire partie d’un jury à Esmod que celle qui ne s’habille qu’en blanc a été repérée et recrutée pour diriger cette école de mode. Un compagnonnage qui a duré une quinzaine d’années. La suite, c’est l’AICP, où elle a posé ses bagages en 2021, pour succéder à Jean-Philippe Vauclair qui dirigeait les lieux depuis 1968.

Concentration, précision et bons gestes

« L’AICP, c’est 1 200 m2, 300 étudiants par an et 150 entreprises partenaires qui vont de la Comédie-Française à Balenciaga, de Chanel à agnès b., de Dior à Jacquemus », souligne Christine Walter-Bonini. Mais c’est aussi une méthode : la méthode Vauclair-Darroux, qui permet aux modélistes diplômés de réaliser des collections sur le plan technique, pour le prêt-à-porter comme pour les maisons de luxe. Surnommée « l’école des architectes du vêtement », l’AICP ne compte qu’une vingtaine d’élèves par classe. D’où de nombreux postulants sur liste d’attente. Parce que la géométrie, la 3D, l’exécution, la confection, le sur mesure, la connaissance d’un tissu et la reconnaissance d’une matière, cela ne se transmet pas dans une classe surchargée. Cela ne s’improvise pas non plus : il faut du temps, de la concentration, de la précision, pour une parfaite maîtrise des bons gestes. Un savoir-faire unique. Et des experts pour former, informer, juger, noter. À l’instar de ces enseignantes en train de passer en revue une série de vestes réalisées par des étudiants de 2e année : elles touchent, soupèsent, manipulent, détaillent chaque vêtement. Elles ont l’œil. Rien ne leur échappe. Car elles sont déjà passées par là pour être elles-mêmes diplômées de l’AICP, comme tous les profs de l’école. Boucle bouclée.

Du modéliste à l’alchimiste

Formation initiale juste après le bac, formation continue ou cursus court à la carte, tout est possible à l’AICP. « Et ce d’autant que l’école ne ferme jamais », précise Christine Walter-Bonini. Même durant l’été, on peut apprendre à trouver formes, volumes et coupes, pour bâtir un vêtement. Un travail de modéliste que la présidente de l’école compare à celui d’un alchimiste. « On vient ici pour apprendre, mais aussi pour approfondir sa technique, ce qui est une véritable valeur ajoutée pour les entreprises qui ont besoin d’évolution », poursuit celle qui vient de rouvrir une formation dédiée au vêtement pour homme. Un vrai « plus » pour cette école que Christine Walter-Bonini veut avant tout « familiale », « dans l’esprit des ateliers des maisons de couture ». Son message aux jeunes générations : « Soyez ouverts d’esprit, curieux, courageux, agiles, passionnés. » Des jeunes qui lui apprennent beaucoup : « Ils sont moins individualistes que nous à leur âge. Ils ont le sens du collectif. Travailler en équipe, c’est naturel pour eux. Ils savent fédérer et multiplier les compétences. Contrairement à nous, ils font beaucoup dans l’urgence, mais ce qui en sort est bluffant. » Le tout sur fond de digital, relocalisation de certains fabricants, chasse au gaspi et recyclage. Une nouvelle donne, reconnaît Christine Walter-Bonini, dont la définition de la mode reste : « Être soi-même. »

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