Pas léger, mais assuré. Brushing impeccable. Fluidité d’une robe estivale. Quelques bijoux, mais pas trop. Souliers joliment découpés. Bénédicte Epinay marche dans un Paris vide, entre deux séquences de Jeux Olympiques. Plein soleil en cette mi-août 2024. L'ex-femme de presse remonte l’avenue Percier, tourne rue de la Baume et pousse la porte du 2 bis, siège du Comité Colbert, dont elle est devenue la déléguée générale en mai 2020. « Je suis arrivée en plein Covid. La veille de mon premier jour de travail, on m’a livré un ordinateur à la maison. » Ça ne s’oublie pas. À sa création en 1954, à l’initiative de Jean-Jacques Guerlain, le Comité Colbert – alors « Groupement Colbert », du nom du contrôleur général des finances de Louis XIV… - ne comptait qu’une quinzaine de membres. Aujourd’hui, ce collectif regroupe 95 maisons de luxe françaises, 18 institutions culturelles et 6 membres européens, qui incarnent 14 métiers : de la parfumerie à la joaillerie, en passant par la mode, l’orfèvrerie, la gastronomie ou encore le design. Sa mission : promouvoir et transmettre des savoir-faire, pour ainsi contribuer au rayonnement international de l’art de vivre français. Tout un programme qui repose désormais sur les épaules de Bénédicte Epinay, l’audacieuse. L’un de ses derniers faits d’armes : l’ouverture d’un compte TikTok au nom du Comité Colbert, sous-titré « la voix du luxe français ».

Bach et le violon

Née à Cholet, Bénédicte Epinay a su qu’elle serait journaliste grâce à son prof de français en classe de 2nde : « Il m’a donné confiance en moi. » Elle se souvient encore de cet exposé, gratifié d’un 20/20, qu’elle avait consacré à Bach et le violon, deux passions qu’elle cultive toujours. Puis direction la Catho d’Angers, pour un cursus universitaire ciblé sur les sciences politiques et économiques, doublé d’un master en communication. En 1984, elle entre aux Échos, où elle va faire la majeure partie de sa carrière de femme de presse. En 1999, elle crée le magazine Série limitée, supplément mensuel du quotidien économique, puis participe au lancement de l’hebdomadaire Les Échos week-end, en 2015. L’année suivante, on lui confie la direction générale du Pôle luxe de Pelham Media, dédié à la communication à destination des entreprises. Fin 2019, alors qu’elle sort d’une réunion plus complexe que d’autres, son téléphone sonne. « Je suis sur le trottoir, boulevard de Grenelle. Une chasseuse de tête me propose un entretien, le lendemain matin, pour le poste de déléguée générale du Comité Colbert… » Bénédicte Epinay accepte. Les stratégies éditoriales des entreprises du luxe, c’est son quotidien chez Pelham. En une nuit, elle bâtit une présentation « en 40 slides ». Une « keynote » qui va faire mouche.

Les de(ux)mains du luxe - Comité Colbert- Station F - Paris - 2023 © David Atlan

« Marque employeur » : quésaco ?

Bénédicte Epinay succède à une autre femme, Élisabeth Ponsolle des Portes, à la tête du Comité Colbert. Malgré cela, la majorité des maisons de luxe françaises sont encore dirigées par des hommes. Si bien que le premier bureau du Comité qu’elle préside, en présentiel, durant l’été 2020, est exclusivement masculin. Elle va devoir s'affirmer, se faire une place : la sienne. Sa force : sa connaissance du secteur du luxe et de ses principaux acteurs. Sa faiblesse : elle ne doit plus raisonner comme une journaliste, mais se mettre « au service des membres du Comité Colbert ». Car ils ont des besoins, que ce soit en termes de visibilité, de communication ou encore de positionnement quant à la responsabilité sociétale des entreprises… « La première fois que j’ai entendu l’expression marque employeur, je me demandais de quoi il s’agissait ! » Bénédicte Epinay écoute, apprend, apprivoise une autre façon de penser comme on découvre un nouveau territoire. Appliquée et convaincante, elle obtient le feu vert pour métamorphoser le site Internet du Comité, développer les réseaux sociaux, poster des vidéos d’artisans de grandes maisons sur TikTok « pour toucher les 12-25 ans avec un outil intelligent et pédagogique »… Peu à peu, elle met sa patte, précise le cap, multiplie les événements. À commencer par Les de(ux)mains du luxe, avec une première édition en 2022. L’idée : faire savoir les savoir-faire des maisons du Comité Colbert, le temps de rencontres avec des petites mains, artistes, artisans, à Paris mais aussi à Lyon – en juin 2024 – ou encore à Cholet, du 21 au 23 novembre prochains. Citons également des participations à répétition – en 2022 et rebelote en mars 2025 - à l’Université de la Terre, au sein de l’Unesco à Paris. Sans oublier une multitude d’études, qui donnent le ton d’un secteur du luxe en pleine mutation. À titre d’exemple, en juin dernier, le Comité Colbert - en partenariat avec Media Figaro - publiait les résultats du rapport des jeunes – français, américains et chinois - au luxe. Où l’on apprenait qu’en matière de luxe, 83% des 20-35 ans privilégient les produits écologiques et responsables. Quant à l’étude annuelle sur le luxe et la technologie, menée avec le cabinet Bain & Company, le volet « Intelligence artificielle : la révolution discrète » sera présenté le 10 septembre 2024, à Paris.

Les de(ux)mains du luxe - Comité Colbert- Station F - Paris - 2023 © David Atlan

Sans tambour ni trompette

Force de propositions au sein du Comité Colbert, Bénédicte Epinay s’emploie à casser l’image d’un secteur du luxe renfermé sur lui-même. Elle ouvre grand les portes des uns, les fenêtres des autres. Elle s’intéresse à la nouvelle génération de patrons qui n’ont pas encore 50 ans, fait entrer dans le Comité le créateur de souliers Christian Louboutin et, plus récemment, la maison de tissus Lelièvre et l’éditeur de livres d’art Citadelles & Mazenod. Quant au Colbert Labo, auquel elle tient beaucoup, « il réunit une quarantaine de jeunes issus de nos maisons, qui planchent une demi-journée par mois, durant 6 mois, sur des projets originaux, singuliers, innovants ». L’événement Les de(ux)mains du luxe est tout droit sorti de ce « brainstorming » d'un autre type, où personne ne se connait au départ. Bénédicte Epinay apprécie cette spontanéité, ces échanges à bâtons rompus, calqués sur l’esprit des conférences de rédaction au sein des magazines : clin d’œil à sa vie d’avant... Retour à l'actualité du moment : le 18 octobre 2024, elle fêtera les 70 ans du Comité Colbert. Mais ce sera sans tambour ni trompette. Un « carnet de voyage dans le temps », en supplément du Figaro, marquera le coup. C’est tout. L’important, c’est de durer. « Nos maisons réunissent désormais 19 500 ans de savoir-faire d’excellence », rappelle-t-elle. Une autre façon de parler du luxe, dont elle emprunte volontiers la définition à Jean-Louis Dumas, à la tête de la maison Hermès de 1978 à 2006 : « Le luxe, c'est le désir qui l'emporte sur la raison. »

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