Sa vie a des airs de romans. Ça tombe bien, Annie Huet en lit « entre 120 et 130 par an ». Parce qu’elle aime « l’aventure d’une écriture ». Orthophoniste de formation, elle a dirigé durant une quinzaine d’années l’Espace Culturel Leclerc de Blois. C'était le premier lieu de ce type situé dans un centre-ville touristique, de surcroît au pied d’un château royal. Sur 1 300 m2, elle avait installé une galerie d’art en rez-de-chaussée, mais surtout un « bar littéraire et musical » à l’étage – le CodeBar -, où elle a reçu le gratin de la littérature française. Aujourd’hui, Annie Huet poursuit ses rencontres avec des auteurs, éditeurs, traducteurs, rythmées par des lectures qu’elle mène à voix haute, dans la salle des mariages de l’hôtel de ville de Blois, bâtiment XVIIIe avec vue sur la Loire. Un rendez-vous qui attire près d’une centaine d’amateurs à chaque session. Les raisons de ce succès ? « Je pense avoir su créer un lien de proximité à la fois avec les invités et l’auditoire, grâce à une liberté de ton que seule mon indépendance autorise. »
« J’ai lu Le Petit Chose à 6 ans… »
Née dans la Sarthe, Annie Huet a grandi à Vendôme et passé son bac à Tours en 1976. Bonne élève, elle voulait devenir « prof de bio ». Mais son intérêt pour la langue, le langage et la lecture – « j’ai lu Le Petit Chose à 6 ans… » - l’ont conduite vers des études d’orthophonie. Diplômée à 21 ans, elle ouvre un cabinet à Bonneval, en Eure-et-Loir. Mais, changement de cap et nouvelle vie, lorsqu’elle épouse un entrepreneur qui prend la tête du Centre E. Leclerc de Châteaudun. Un challenge qui devient vite leur projet commun. « Du jour au lendemain, je me suis retrouvée responsable textile du magasin », se souvient Annie Huet. Un autre monde et une autre histoire pour celle qui se sentait plus à l’aise « pour recevoir des patients que des clients ». Qu’à cela ne tienne : elle va s’adapter. Car la mode l’intéresse, le travail en équipe lui plaît et « monter des projets » la passionne. En 1992, fini Châteaudun. Le jeune couple fait l’acquisition du Centre E. Leclerc de Blois. Annie Huet suit son mari et poursuit ses expériences, en particulier dans le secteur du textile. Elle vient de donner naissance à son quatrième enfant lorsqu’elle croise la route d’Hélène Leclerc. La mère de Michel-Édouard Leclerc lui propose alors de l’accompagner dans la création d’une marque textile nationale pour les hypermarchés de l’enseigne familiale. Annie Huet accepte le job et les jet-lags à répétition, dus à ses nombreux voyages en Asie. Puis, à l’orée des années 2000, Nicole Belit, à l’origine du premier Espace Culturel Leclerc, ouvert en 1995 à Pau, la sollicite pour participer au développement de ce nouveau concept. « Mon parcours a toujours été jalonné de mains tendues que j’ai su saisir », reconnaît Annie Huet qui, à l’époque, avait son bureau à Paris, sillonnait la France et vivait à Blois.
Rencontres, lectures et dédicaces
Volontaire, un brin aventurière et surtout curieuse de tout, Annie Huet dit banco lorsqu’on lui propose, en 2006, de réhabiliter une ancienne friche commerciale de la rue Porte Côté, au cœur de Blois, pour la transformer en Espace Culturel Leclerc. Ravie de s’immerger, in situ, dans l’univers des livres, de l’écriture, de la création, cette admiratrice de Marguerite Duras voit alors l’occasion de mettre sa patte dans un bouillon de culture accessible à tous. Active, réactive, elle s'implique illico. L'Espace Culturel Leclerc blésois est inauguré mi-septembre 2007. Dès le 2 octobre, Annie Huet va recevoir l’écrivain suisse Metin Arditi, auteur de La Fille des Louganis, roman tout juste paru aux éditions Actes Sud. C’est le début d’une série de plusieurs centaines de rencontres, lectures et dédicaces au fameux CodeBar. Et ce durant 15 ans. « J’ai dû faire valoir mes droits à la retraite en 2022 », confie-t-elle. Mais pas question de tout arrêter. « J’ai sollicité le maire de Blois, Marc Gricourt, pour lui exprimer mon souhait de poursuivre mes activités littéraires. Sans hésiter, il m’a proposé d’investir la salle des mariages de l’hôtel de ville », explique Annie Huet. À Blois, d’autres lieux lui ouvrent également leur porte. À l’instar du café Fluxus de la Fondation du doute, du Centre de la Résistance, de la déportation et de la mémoire (CRDM) ou encore du Relais & Châteaux Fleur de Loire.
« Va chez Annie, à Blois ! »
« Je suis animatrice littéraire ». Annie Huet se définit désormais en ces termes. Les éditeurs parisiens la connaissent. Quant aux écrivains, ils se repassent volontiers le bon plan de la soirée « rencontre-lecture-dédicace » : « Va chez Annie, à Blois ! » Claire Berest, Éric Fottorino, Marie-Hélène Lafon, Dominique Barbéris, Thomas Schlesser ou encore les éditrices Sabine Wespieser et Héloïse d’Ormesson font partie des derniers invités de l’« animatrice », qui en héberge certains dans sa maison des bords de Loire, lorsque les hôtels affichent complet. Chaque rendez-vous littéraire – environ 25 par an - s’étire sur un peu plus d’une heure, avec une dizaine de minutes consacrées à la lecture. Une lecture à voix haute qu’Annie Huet prépare avec soin. Chaque livre qu’elle présente est d’abord annoté au crayon. Une sélection de passages sont ensuite scandés, coupés, assemblés et montés en vue d'une logique de lecture. Puis, elle s’entraîne à lire et s’enregistre « pour comprendre le texte en profondeur, repérer les pièges, sentir le rythme, décider où mettre des pauses ». « Quand je lis, ce qui compte, c’est le texte et l’émotion transmise par celui-ci. C’est différent du théâtre, où l’émotion transite par le corps », nuance celle qui a participé à des stages de lecture à voix haute avec la comédienne Solange Boulanger et suivi, en 2017, une formation au Cours Florent. Outre l’exploration de la littérature contemporaine, Annie Huet ne s’interdit pas « des cycles de lecture de grands textes classiques ». Vie et destin, Don Quichotte, La Métamorphose… autant d’œuvres dont elle a lu des extraits, notamment lors des Rendez-vous de l’histoire, festival fondé en 1988 par Jack Lang, alors maire de Blois.
Véronique Ovaldé, Nane Beauregard, Nina Léger…
« Nouveau chapitre ». C’est le nom qu’Annie Huet a donné à la microsociété qu’elle a créée pour encadrer ses animations et autres événements. Ce qui lui permet également d’être mécène de la Halle aux Grains, scène nationale de Blois, où elle projette de lire des textes de Truman Capote… Pour l’heure, elle prépare la rentrée littéraire et ses premières rencontres de la saison. Comme celle du 11 septembre avec Véronique Ovaldé, prix Goncourt de la nouvelle 2024 pour À nos vies imparfaites (Flammarion), ou encore celle du 25 septembre avec Nane Beauregard, auteur de Balle perdue (Maurice Nadeau). Annie Huet ouvrira également l’édition 2024 des Rendez-vous de l’histoire, le 8 octobre prochain, le temps d’une conversation au CRDM avec Nina Léger, autrice de Mémoires sauvées de l’eau (Gallimard), dont elle vient de terminer la lecture. Annie Huet ne compte plus les ouvrages qui envahissent son domicile blésois, cave comprise. Elle pense en avoir près de 4 000… dont certains sont encore dans les caisses d’un récent déménagement. Quant aux livres lus par ses quatre enfants, ils remplissent désormais la bibliothèque qu’elle a installée au premier étage de sa maison, pour ses six petits-enfants. « Ils sont encore très jeunes, mais le virus de la lecture les possède déjà. » La relève est assurée.