Son atelier, à deux pas de la gare TGV de Saint-Pierre-des-Corps, s’ouvre sur un ancien jardin ouvrier. Lumière naturelle, verdure, chant des oiseaux, bouquet de roses coupées depuis peu, grandes tables de travail, collection d’objets de mesure suspendus sur un mur… c’est ici que l’artiste Claire Trotignon passe à l’action. Ses créations ? Toutes à base de collages. Son mode opératoire : composer à partir de l’existant. Minutieusement, religieusement, elle rassemble et assemble des fragments de gravures anciennes, papiers hors d’âge, affiches de films, magazines vintage… De ces unions naissent des paysages, invitations au voyage, espaces intemporels. Un monde à part, esthétique, géométrique, toujours poétique, qui fera l’objet d’une exposition à partir du 10 octobre 2024 à la galerie 8+4, à Paris. Suivra une rétrospective consacrée aux dix dernières années de travail de l'artiste, programmée en 2026 par le Frac Picardie, ainsi qu’une monographie de 300 pages.

Du « White Office » aux Rolling Stones…

« Quand j’étais petite, j’hésitais. Je voulais devenir soit pianiste, car il y avait toujours de la musique à la maison, soit pilote de chasse – j’y vois un lien avec l’espace et la vitesse…- , soit artiste, parce que je me fabriquais des cabanes avec ce que je trouvais autour de moi », raconte Claire Trotignon, le temps d’une pause-café dans son atelier en Touraine. C’est le troisième scénario qui a été le bon. Et ce d’autant que cette passion pour « trouver de la matière, en sélectionner le plus intéressant et recomposer quelque chose avec », reste la base de son art. Née en 1985, Claire Trotignon a grandi à Rochefort d’abord, puis Poitiers où elle a intégré, juste après son bac, une fac d’histoire de l’art. Ensuite, direction Tours, pour un cursus aux Beaux-Arts, où elle s’initie notamment à la gravure, une discipline qu’elle apprécie tout particulièrement. Curieuse, aventureuse, avec celui qui va devenir son compagnon et qu’elle rencontre en cours à Tours, elle ouvre un atelier-galerie, baptisé « White Office », qu’ils animent tous les deux en marge de leurs études. « Nous revenions d’une période de stage à Berlin, nous avions envie de faire et de montrer plein de choses ! » Une première expérience de « chef d’entreprise » qui va durer trois années, durant lesquelles le duo reçoit de jeunes talents et se fait inviter aussi dans le cadre de résidences. Une dynamique qui les propulse, en 2009, jusqu’au château de Chambord, où ils vont avoir carte blanche pour une création, dans un hectare des jardins du domaine. Ils osent alors le land art et reproduisent, sur un gazon à l’anglaise, la langue-logo des Rolling Stones. Une prouesse menée avec l’accord du groupe de rock et même avec les félicitations du voisin, Mick Jagger, propriétaire du château de Fourchette, en Touraine.

DEMAIN, JADIS
2018 / 2019
Dessin, collages de gravures anciennes sur papier
100 x 70 cm - Collection privée

Kodachrome, Rotring et scalpel

À l’orée des années 2010, Claire Trotignon pose ses bagages à Paris.  Pour voir, savoir, prendre le pouls de la ville et pousser les portes des galeries. C’est à cette époque qu’elle développe un travail plus personnel, guidé par le collage. Pour nourrir ses créations, elle collecte et collectionne gravures et papiers d’hier, qu’elle chine et déniche dans des brocantes, des foires, des salons… Aujourd’hui, c’est un spécialiste des gravures de petites tailles qui la fournit. Elle en garde certaines, les autres, elle taille dedans, sans hésiter. Lorsqu’elle recherche des images en Kodachrome, pour leur contraste et leur intensité, elle puise aussi dans le stock de National Geographic des années 1950 de son père. Dans son atelier de Saint-Pierre-des-Corps, tous ces types de papiers sont classés par couleur, tonalité, thématique… Parce qu’un drapé ne se range pas avec un brun foncé ou une image d’architecture... Une fois sa matière première en main, elle coupe, découpe, crayonne, bâtit un croquis, choisit les éléments dont elle va avoir besoin, les place, dessine au Rotring, puis le tout est flashé et sérigraphié. Le résultat : « De loin, c’est comme une cartographie. Et de près, comme un paysage qui invite à la contemplation, à l’infini. » Avec des collages qui se font parfois jeux d’apparence et de transparence. Car la totalité des papiers utilisés ont eu une autre vie avant. Si bien que plus l’œil se rapproche de l’œuvre de Claire Trotignon, plus il détecte un visage, un paysage ou autre objet sous-jacent. Bluffant. Un travail de haute précision, mené au scalpel, l’outil principal de l’artiste. « Je les achète par centaines », dit-elle. Mais elle n’en utilise que les pointes. Le reste, elle l’offre aux étudiants de l’école des Beaux-Arts du Mans, où elle donne des cours.

PRIMO PIANO AND THE LEFTOVERS
Installation in situ - plâtre, collages de gravures anciennes, laiton, mdf laqué, peinture
3,44 m x 1,90 m x 95 cm
La Vitrine - FRAC IDF, Mars 2019 - Martin Argyroglo©

Le sens de l’observation

Du centre d’art contemporain La Transpalette, à Bourges, où elle a été invitée par le commissaire d’exposition Jérôme Cotinet « pour faire apparaître un paysage dans un lieu à l’abandon », au Salon de Montrouge pour lequel elle a imaginé, en 2012, un papier peint de 12 mètres de haut pour habiller une cage d’escalier, Claire Trotignon s’est frottée à tout. Elle a multiplié les expériences et s’est confrontée à tous les publics. La Galerie de Roussan, la première à la représenter à Paris, a montré les paysages de l’artiste au Drawing Now Art Fair, ainsi que dans de nombreuses foires d’art contemporain à l’étranger. Des œuvres qui font mouche et positionnent l’artiste. Quand on demande à Claire Trotignon d’où lui vient cet intérêt pour ces paysages qu’elle construit, déconstruit, reconstruit, elle répond : « Mes parents m’ont toujours incitée à prendre le temps d’observer autour de moi. »  À commencer par sa mère, qui gérait un théâtre XVIIIe à Rochefort, où elle produisait des pièces avec des décors sous formes de trompe l’œil et autre panneau prêt-à-poser derrière les comédiens. Installée dans la loge d’avant-scène, « où le regard va du paradis jusqu’à la fosse », la jeune Claire ne manquait rien du spectacle. Même scénario lorsqu’elle partait naviguer, adolescente : « En mer, il faut tout observer, se demander sans cesse où l’on est et réussir à se projeter. »

« Paysages acrobatiques »

En une dizaine d’années, le travail de Claire Trotignon a été présenté aussi bien à la Biennale d'architecture de Venise qu’a la FIAC à Paris, en passant par la Fondation Louis Vuitton, Untitled Miami ou encore le Centre Pompidou à Metz. À cela s’ajoutent des œuvres intégrées à des collections publiques (Collection d’art Société Générale, BNF, FMAC, New York Public Library…), mais aussi privées. « Chaque année, confie l’artiste, je montre mon travail dans quelques foires internationales – FIAC, Art Brussels… - et je prépare une à deux expositions personnelles. » Ce sera le cas du 10 octobre 2024 au 11 janvier 2025 à la galerie 8+4, à Paris, avec ses Paysages acrobatiques. Une douzaine d’œuvres vont être accrochées. Toujours avec des fragments de gravures anciennes comme base de ses collages. Mais cette fois-ci, les fonds se colorent, les éléments architecturaux s’élèvent, flottent librement dans l’air. Une prise de hauteur, telle une prise de recul, voire la quête d’un certain équilibre… peut-être en écho à la nouvelle vie entre la Touraine et Paris de Claire Trotignon, devenue également jeune maman.

Pour en savoir plus sur Claire Trotignon, c'est ICI. Et sur l'expo qui débute le 10 octobre 2024 à la galerie 8+4, à Paris (13 rue d’Alexandrie), c'est .

Paysage acrobatique #6
Gouache, collage de gravures sur papier, contrecollé sur aluminium
170 × 126 cm - 2024