Le réalisateur Antoine Page aime le temps long. Il s’intéresse aux histoires qui durent. D’où sa préférence pour le documentaire. Un format qui lui permet de suivre un parcours, un projet, une intrigue… sur plusieurs mois, voire plusieurs années. C’est ce qu’il a fait en filmant son frère, Angel Page, depuis son inscription en fac de médecine, à l’âge de 18 ans, jusqu’au jour de sa soutenance de thèse, lorsqu’il prête serment. Soit 12 années de la vie d’un fils et petit-fils de médecins généralistes. De 350 heures d’images, Antoine Page a mis six mois à en faire un film d’un peu moins de deux heures. Un document et documentaire d’une grande justesse sur le quotidien du carabin. Un regard pertinent aussi sur le doute permanent qui hante le futur praticien, comme sur le choix de vie très solitaire qui accompagne cette envie de soigner l’autre.

Erasmus à Sofia et berger au milieu de nulle part…

D’aucuns parleront de tradition familiale. Angel Page fait médecine pour succéder au père… Ce n’est pas le cas. Car ce père est mort lorsque son fils cadet n’avait que 11 ans. L’inscription en fac de médecine est guidée par d’autres choses. Impalpables au début. Décelables peu à peu. Avec cette fierté d’être classé 5e à l’issue du concours de fin de première année. Surtout quand on a ramé, trimé, bachoté, bouffé du cours et du bouquin durant des mois, non stop. Un chemin de croix. Avec un esprit de « compète » pas toujours en accord avec l’empathie que l’on attend, plus tard, du médecin vis-à-vis d’un patient… Un paradoxe qui interroge très tôt le jeune Angel. Puis vient le lien avec le père : fait-on médecine pour lui ressembler ? Pas si sûr. Car, au bout de l’histoire, chacun exerce son art à sa façon. Angel Page semble même choisir, exprès, une succession de terrains méconnus pour se frotter à tout, avant de se poser. Fac, hôpital, Erasmus à Sofia – où il se filme seul face à l’écran de son ordinateur -, diversité des spécialités médicales, médecine de campagne… il teste, il cherche, il se cherche. Quitte à faire une parenthèse de quelques mois dans la peau d'un berger au milieu de nulle part. Comme pour reprendre haleine. Puis, direction Marseille. Ses quartiers Nord. Et le « Château ». Ce centre de santé communautaire, situé dans une bastide XIXe classée monument historique, propose des consultations de médecine générale et des entretiens sociaux. Certains viennent aussi pour prendre un café, parler, échanger, rompre un isolement… C’est ce cadre associatif, collectif, collaboratif, qui correspond le mieux, aujourd’hui, à la quête d’Angel Page. Un lieu où il continue d’apprendre sur la médecine, la médecine « sociale », l’accès aux soins et ses inégalités… Un « Château » à part, sans remparts, où il dit avoir trouvé sa place.

Indépendance et tour de France

Réalisateur indépendant, Antoine Page a quitté Paris à l’orée des années 2010 pour s’installer dans la maison du directeur d’une ancienne cartonnerie à Mesnay – 576 habitants -, dans le Jura. « La Maison du directeur » : c’est le nom de sa société de production, devenue depuis peu une association. Parce qu’il veut défendre lui-même ses projets devant les décideurs d’une chaine de télé ou face à un distributeur. Utopiste ? Un peu. Audacieux, beaucoup. Artisan, à la folie. Antoine Page a d’ores et déjà prévu un mini tour de France, ponctué d’une vingtaine de dates, pour présenter Toubib, le documentaire qu'il a consacré à son frère et pour lequel il a décroché un soutien de la région Bourgogne-Franche-Comté. Pour l’heure, il cherche encore un distributeur. La sortie de son film est annoncée pour le 28 août 2024. Mais sans distributeur, ce jour-là, le long métrage ne sera visible qu’à Besançon (cinéma Victor Hugo), Guingamp (cinéma Les Korrigans), Pont-à-Mousson (cinéma Le Concorde) et Paris (cinéma Les 3 Luxembourg). On se dit qu’il y a encore un peu d’espoir pour que ce documentaire soit projeté et diffusé comme il se doit… Car ce portrait de futur médecin est riche en enseignements. Il donne le pouls à la fois d’une jeunesse engagée, d’une profession à panser, d’une société à repenser. À cela s’ajoute la complicité entre deux frères, dingues de musiques de films, fans de Barry Lyndon et qui ont pris plaisir à mener, ensemble, une aventure humaine au long cours. Autre de leur point commun : le choix de la liberté, à tout prix.

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La bande annonce de Toubib est par ICI.

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