Il mène une double vie. D’un côté, une profession au plus près d’une clientèle. De l’autre, des moments de création au plus près d’un public. Laurent Costa coupe, lisse, frise, décolore, sèche les cheveux, durant la semaine, mais consacre ses soirées et jours de congés au théâtre. Si le comédien est longtemps monté sur scène, aujourd’hui il investit les maisons, les appartements. Avec les quatre autres membres de sa troupe, ils jouent « in situ ». Salon, chambre, cuisine, couloir, salle de bains, toilettes, jardin… tout est possible, selon le déroulé de la pièce. Les spectateurs suivent les acteurs à la trace, disposent d’une chaise au gré de la déambulation, s’installent sur un escalier, s’adossent à un mur… Et ce le temps d’une réplique, d’un monologue, d’un dialogue… La troupe s’adapte à un environnement. Le public adopte un mode opératoire, qui permet d’être au plus près des comédiens. Laurent Costa adore. Les théâtreux adhèrent. Une scène nationale vient d’accueillir les artistes amateurs et un lycée de Blois souhaite faire vivre l’expérience à ses élèves de 1ère, avant les épreuves du bac de français.
« Gamin, je coiffais les poupées de ma sœur »
« Je rêvais de devenir décorateur. » Mais l’école, les cours, les leçons, Laurent Costa n’a jamais aimé ça. Un rien dilettante, il se dit carrément « fainéant ». Il exagère. Car il travaille depuis ses 15 ans, âge auquel il a amorcé un CAP « coiffure » et l’apprentissage qui va avec, dans le XIIe arrondissement de Paris. « Gamin, je coiffais les poupées de ma sœur », confie-t-il. C’est ce qui a guidé son choix, car peu inspiré par l’idée d’apprendre la menuiserie, la plomberie ou autre maçonnerie. « Trop physique et pas assez créatif », à ses yeux. La suite : une quinzaine d’années dans un salon de Bagnolet, puis à Paris chez Franck Provost, avant de devenir coiffeur à domicile en alternance avec des missions pour de grands salons de la capitale. « Je travaillais tout le temps. Y compris le soir et le week-end. C’était trop. » Surtout qu’il cumulait avec le théâtre, sa passion depuis qu’il a pris son premier cours à 22 ans au centre culturel de Bagnolet. « C’était au milieu des années 1990, je manquais de confiance en moi. » Une amie lui recommande alors la scène et le jeu comme thérapie. Il saute le pas, monte sur les planches et c’est la révélation : « D’emblée, j’ai aimé être dans la peau d’un autre. » Classique, burlesque, comique… il touche à tout. Avec une préférence pour « l’impro » et « faire rire ». En 1998, une amie l’embarque dans un opéra rock consacré à Mozart. L’aventure débute à Montreuil et se hisse jusque sur les planches du Déjazet, à Paris, avec des costumes empruntés à la Comédie-Française. Puis avec La folle surprise, un spectacle burlesque aux airs de Cage aux folles, Laurent Costa va tourner une dizaine d’années dans une multitude de petites salles parisiennes. Bilan positif en termes de performances sur scène, mais gouffre financier pour la troupe de l’époque. En 2015, il n’est satisfait ni par sa vie « pro » - « trop chronophage » -, ni par sa vie « perso ». Il veut prendre du recul. Il plaque tout : son job, le théâtre et Paris.
De la Compagnie du Hasard à la P.O.P Compagnie
« Ma famille habite dans le Loir-et-Cher. » Rien à voir avec la chanson de Michel Delpech. C’est dans la vraie vie de Laurent Costa que cela se passe… Si bien que le coiffeur-acteur va choisir Montrichard – 3 156 habitants - pour poser ses bagages. Tout près de la maison où ses parents ont pris leur retraite. Rupture brutale avec l’effervescence de la capitale. Laurent Costa tablait sur quelques mois de pause avant de reprendre peigne et ciseaux. Mais, par le biais de l’une de ses cousines, son CV atterrit dans les mains du gérant du salon Dessange de la rue Porte Chartraine, à Blois. Coup de fil. Entretien. Il est pris. Puis, très vite, entre une couleur et un brushing, une cliente lui parle de la Compagnie du Hasard, créée en 1977 par l’auteur et metteur en scène Nicolas Peskine – disparu en 2001 -. Basée route de l’Orme, au Controis-en-Sologne, cette troupe monte des spectacles, dont certains de grands auteurs du répertoire classique et contemporain. Laurent Costa s’inscrit à l’école de théâtre de la compagnie. Un vivier de talents. Un QG de passionnés. Il se lie d’amitié avec quatre d’entre eux : Pierre-Yves Dyé, Claire Louis, Cécile-Emma Petit-Cassé et Céline Reno. Puis, en 2019, ce drôle de « club des cinq » fonde la P.O.P Compagnie. P.O.P pour « Petit Orme Project ». Premier spectacle qu’ils veulent monter « in situ », sur les conseils de la metteuse en scène Marie Boisdé : Juste la fin du monde. Cette pièce écrite par Jean-Luc Lagarce et adaptée au cinéma par Xavier Dolan, raconte l’histoire d’un homme qui retourne dans sa famille, après une longue absence, pour annoncer sa mort prochaine... « Au départ, j’étais perplexe face à ce texte tragique, dramatique, explique Laurent Costa. Je pensais que ce n’était pas pour moi. » Mais la troupe l’entraîne, lui montre et lui démontre qu’il peut dépasser cette crainte, surmonter l’obstacle, s’essayer à un autre type de jeu. Il tente le coup et, avec les confinements du Covid, il a du temps pour apprendre le texte : « Tant mieux ! Car le ‘ par cœur ‘ ne me va pas. Je dois fournir beaucoup d’efforts avant de maîtriser un texte. » Durant la pandémie, la troupe va réussir à jouer avec des jauges de 15 personnes, en maisons et appartements, faute de théâtres ouverts, avec rémunération au chapeau. Un bon galop d’essai. Depuis, les comédiens ont interprété Juste la fin du monde, « in situ », à une quarantaine de reprises, dont deux représentations menées en 2024 dans le cadre du festival « Premières fois ! » de la Halle aux grains – Scène nationale de Blois. Un succès.
« Nous avons déjà joué dans un ‘ 3 pièces ’… »
« Dans un premier temps, nous faisons un repérage des pièces et espaces que nous allons pouvoir investir dans une maison ou un appartement. Puis, le jour J, nous arrivons trois heures avant de jouer pour réaliser le filage », détaille Laurent Costa. Des lieux que la P.O.P Compagnie déniche par le bouche-à-oreille. À cela s’ajoute le spectateur conquis qui propose, à la fin d’un spectacle, d’organiser la représentation suivante chez lui. « Nous avons déjà joué dans un ‘ 3 pièces ’. C’était exigu, mais nous nous en sommes sortis », se souvient Laurent Costa. « En nous produisant, parfois à touche-touche du public, nous ne sommes pas obligés d’en rajouter, de sur-jouer, de parler très fort », poursuit-il. La prochaine étape ? Des représentations de Juste la fin du monde en avril et mai 2024 au lycée Dessaignes, à Blois, face à des classes de 1ère qui ont travaillé le texte de Jean-Luc Lagarce durant l’année. Les comédiens vont jouer « in situ » entre salles de cours, couloirs, cour de récré... Fierté de Laurent Costa. Lui qui n’aimait pas l’école, il va se retrouver confronté au regard des élèves. Changement de place. Renversement des rôles. Autre public. « Mais toujours le même trac, une minute avant de commencer à jouer. » Quant à Paris, la capitale ne lui manque pas, assure-t-il : « J’ai trouvé un nouvel équilibre. »