Ça grimpe. Ça tourne. Ça grimpe encore... Prendre la rue de l’Ouest et ne pas hésiter à s’engouffrer dans l’impasse Alice Chavanne de Dalmassy. Car c’est au bout de celle-ci que se trouve le QG du chef Bruno Oger. Une ancienne bastide planquée sur les hauteurs du Cannet, qui abrite La Villa Archange, table doublement étoilée de dix couverts, et Le Bistrot des Anges, capable d’accueillir jusqu’à 150 convives. Sauf que ce soir-là, c’est à la table d’hôte que ça se passe. Dans les cuisines du chef. Au plus près de ses fourneaux. Si près de son plan de travail, qu’il vient papoter popote, boire un verre, grignoter, servir, commenter une recette, en présenter une autre… comme s’il recevait des amis de passage. Ça se passe comme ça sur cette table en bois, patinée, sans nappe, sauvée in extremis des gravats lorsqu’il a fallu redonner vie à la bastide certes classée, mais un brin abandonnée. C’était à la fin des années 2000. Bruno Oger venait de quitter les cuisines du Majestic à Cannes, pour créer sa propre maison. Une nouvelle aventure dans laquelle il a investi 3 millions d’euros de sa poche, « car la liberté a un prix », confie le Lorientais fan de la luminosité du Sud de la France. Les travaux de rénovation ont duré un an. Un an à casser, bâtir, façonner, transformer sans dénaturer… le tout rythmé par les barbecues à répétition du chef, pour nourrir les ouvriers du chantier.
Le pain servi sur une tomette de la bastide d’origine
Retour à la table d’hôte. Bruno Oger vient d’y manger une salade de pâtes : c’était son dîner. C’est ici aussi que les équipes du chef goûtent les nouvelles recettes, « avec les verres, les couverts et la cloche posée sur chaque plat, comme pour les clients ». Et puis le gratin du 7e art y passe à chaque festival de Cannes. Un mur recouvert de polaroïds en témoigne. Le dernier en date ? C’était Sylvester Stallone, pour un repas en famille. « Cette table d’hôte est toujours prise. J’ai même un client qui la réserve chaque 1er dimanche de festival de Cannes… depuis 10 ans », raconte Bruno Oger. Ce qu’elle a de particulier ? Grande – 8 personnes peuvent s’y installer -, agréable au toucher, rustique mais pas trop, elle fait face aux cuisiniers en action et, sur le côté droit, une fenêtre s’ouvre sur la nature environnante. Quant au pain, fait maison, il est servi sur une tomette de la bastide d’origine. Le tout à cinq minutes de route de Cannes. Une proximité qui plait aux VIP habituées des « marches » et autres tapis rouges. Même attirance pour les dix tables de La Villa Archange. « Les stars viennent dîner après les projections, vers 22 heures, car, ici, il n’y a pas de paparazzi », souligne le chef. Steven Spielberg y a ses habitudes. On croise aussi Juliette Binoche… La liste est longue et Bruno Oger plutôt discret sur le contenu de son carnet d’adresses franco-hollywoodien. Entre le dessert et les mignardises, il glisse tout de même qu’il peut aussi bien se retrouver à organiser le déjeuner de délibération des membres du jury du festival, qu’un dîner privé de 14 personnes dans une villa pour Tom Cruise. Normal : le chef du festival cannois, c’est lui. Une mission à part durant l’année, où tout est bordé, cadré, minuté, comme pour tourner une scène de ciné.
« L’important, c’est le goût »
Dans les assiettes ? Que du bon qui fait grand bien. Au bistrot, à la table étoilée comme à la table d’hôte. « Ma cuisine, c’est l’iode, la mer, les ormeaux, les salicornes marinées dans un jus de coquillages, les langoustines, le bar, le turbot… le tout associé au Sud », détaille Bruno Oger. On n’oublie pas non plus le beurre demi-sel en provenance de la ferme Nevannen, dans le Morbihan, et le fournisseur de fruits et légumes, qui gare son camion dans la cour de la bastide deux fois par semaine. Là, c’est un peu jour de fête : le maraîcher ouvre les portes de son véhicule et le chef se sert. « Ce n’est pas toujours calibré, mais ce n’est pas grave : l’important, c’est le goût », dit-il. Au total, une cinquantaine de personnes travaillent au sein des deux restaurants de la bastide. Avec quelques personnalités hors des sentiers battus, auxquelles Bruno Oger a donné leur chance. Il a ainsi proposé un poste en pâtisserie à une jeune femme qui, hier, travaillait dans la mode, et intégré en cuisine un agent immobilier en pleine reconversion professionnelle, après une formation à l’École Ducasse. « Ces profils n’ont pas les codes d’un apprentissage classique, mais ils nous apportent de nouvelles choses et nous avons besoin d’évoluer. » Enfin, à la question « la bastide est-elle le premier employeur du Cannet ? », réponse du chef : « Non. Car il y a un Castorama ! »
Bruno Oger est aussi ICI.