« À plus de 75 ans, on a du temps pour aimer, penser, échanger… et ça vaut le coup ! » C’est Marie-Françoise Fuchs, 91 ans, qui le dit. Mère de trois enfants, grand-mère d’une dizaine de petits-enfants, elle a été médecin, psychanalyste, fondatrice de l’École des grands-parents européens et créatrice, en 2008, de l’association OLD’UP. Le slogan de ce mouvement : « Plus si jeunes, mais pas si vieux… » Ils sont 6,8 millions à avoir plus de 75 ans en France en 2023, selon l’Insee. Avec près de deux fois plus de femmes que d’hommes. Alors, certes, ils ne sont pas tous en bonne santé, ni autonomes, ni capables de prendre la parole dans des colloques comme le fait encore Marie-Françoise Fuchs. Mais quand elle s’implique, s’engage, témoigne face à un parterre de spécialistes du grand âge dans un salon du ministère de la Santé, c’est en faveur de tous les vieux. Y compris les « nonas », comme elle dit à la place de « nonagénaires ». Et ce qu’ils soient encore chez eux, hospitalisés ou en Ehpad. « La rencontre et l’échange sont favorisés autour d’un repas, à condition de mieux le concevoir, en particulier dans les Ehpad. Alors évitons d’imposer un menu et un service à l’assiette aux résidents. Laissons-leur le choix entre quelques plats et laissons-leur également la possibilité de se servir selon la quantité qu’ils souhaitent. Il faut créer des choix, ça fait partie des signes de vie », explique-t-elle. Autres de ses mobilisations : « Beaucoup de mairies ont des escaliers, souvent impraticables pour les personnes âgées, car dépourvus de rampes… Quant à la signalétique des toilettes dans les lieux publics, il faudrait penser à un marquage au sol pour les plus de 75 ans… » Mais elle s’interroge aussi sur ce grand-père qui a arrêté la pratique du ski, depuis que ses petits-enfants préfèrent partir dans les Alpes avec leurs copains. Quant à cette femme âgée, que l’on n’a pas informée de la chute de sa fille, pour ne pas l’inquiéter, pour la préserver, comment lui dire à présent que cet accident est beaucoup plus grave que ce que l’on pensait ?
« Mourir, et alors ? »
L’objectif de OLD’UP : « Laisser la parole aux vieux pour construire avec eux une société où ils auront leur juste place. » Marie-Françoise Fuchs cherche ainsi à « donner du sens et de l’utilité à l’allongement de la vie ». « OLD’UP, c’est une association de vieux, par les vieux, pour les vieux », dit-elle encore. Avec quelque 300 adhérents, une newsletter envoyée à un millier de personnes et une chaîne YouTube. En pratique, les membres de OLD’UP se retrouvent régulièrement dans le cadre de groupes de discussion sur les enjeux liés au couple, à la famille, au vieillissement, à la spiritualité ou autres thèmes d’actualité. Ils participent à des ateliers de formation à l’informatique. Mais ils se font aussi observateurs, experts, consultants, débatteurs. Un exemple : lorsque la SNCF et OLD’UP mènent un audit sur l’accessibilité des gares parisiennes, les bénévoles de l’association ont leur mot à dire. À cela s’ajoute un « comité scientifique », des participations à de nombreux colloques et une réunion mensuelle Chez Georges, rue des Canettes, à Paris. La patronne de ce bar de copains, créé en 1952, ouvre ses portes à OLD’UP, par amitié, par conviction, tel un soutien à une bonne cause. Et la mort dans tout ça ? « On en parle, bien sûr », assure Marie-Françoise Fuchs. Mais sans pathos. « Mourir, et alors ? » interroge encore la fondatrice de OLD’UP. Elle parle aussi des atouts qu’engendre certaines pertes, qui permettent de continuer, avancer, se projeter… même dans un futur proche. Elle peste contre les plus pessimistes de ses compagnons de route au sein de l’association, qui pensent ne plus avoir d’avenir. « Car nos dernières années peuvent être de grande qualité, même si l’ouïe est touchée, même si on ne voit plus aussi bien qu’avant. Une acuité visuelle déficiente, par exemple, n’empêche pas d’échanger, dialoguer, partager des pensées ou des idées… On peut profiter de la vie même sans la vue. » Quant aux rencontres, « elles se font autrement ». Elle évoque un homme de 90 ans qui ponctue ses promenades de pauses sur des bancs publics. « Or, c’est sur l’un de ces bancs qu’il s’est fait un nouvel ami », raconte Marie-Françoise Fuchs. Elle ajoute : « Ces nouvelles rencontres, ces nouvelles communautés permettent d’échanger vite, reprendre goût à la vie dans un esprit constructif. Car, le dialogue, ce n’est pas avec la télé. »
Sens de l’écoute et ouverture d’esprit
À l’instar des membres de OLD’UP, Marie-Françoise Fuchs a le sens de l’écoute et une ouverture d’esprit héritée de sa famille, fondatrice de la maison de couture Nina Ricci. Quand elle a débuté son cursus en fac de médecine à Paris, à l’orée des années 1950, elle voulait devenir psychiatre. Mais le décès de l’un de ses frères, lorsqu’elle était encore enfant, l’a longtemps hantée : « Durant mes études, je ne supportais pas d’entendre les cris des tout-petits en pédiatrie », confie-t-elle. Alors elle va partir à l’étranger, changer de cap, de vie, d’horizons et travailler six ans dans le secteur de la parfumerie. À son retour à Paris, elle se réinscrit en médecine. « Une folie », dit celle qui était aussi en train de fonder une famille. Médecin du travail, puis impliquée auprès de femmes médecins en banlieue, elle se forme à la thérapie familiale et conjugale à l’École des parents, avant de visser sa plaque de psychothérapeute. La suite : un intérêt croissant pour le vieillissement et la vie qui va avec. À la question, « à quel âge est-on vieux ? », elle répond : « À 75 ans d’après la Sécu, qui estime qu’à cet âge, on atteint un pic dans la consommation de médicaments. Mais je dirais que l’on devient vieux lorsque des proches disparaissent et que l’on commence à perdre ses réseaux d’amis. » Pour l’ancienne journaliste Paule Giron, membre de OLD’UP et auteur du livre Voyage au pays des nonas (Fauves éditions), préfacé par Marie-Françoise Fuchs, on devient vraiment vieux « quand on a perdu le goût de découvrir ».
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