Il commande un « déca allongé ». Il est installé à une petite table près d’une fenêtre, au café Le Hibou, du côté de l’Odéon à Paris. « Je connais mal ce quartier », reconnaît Martin Jarrie. Normal : depuis qu’il a quitté les Beaux-Arts d’Angers, le peintre et illustrateur vit plutôt rive droite, dans le Xe arrondissement. Quant à son atelier, propriété de la Ville de Paris, il se situe dans le XVe. Un duplex de 37 m2 dans lequel on trouve ses dessins, pinceaux, chiffons, peinture acrylique, sculpture XXL en carton et papier kraft baptisée « Solitaire » – « elle m’accompagne depuis 1996 » –, grands formats sous verre… Le tout sous une verrière et perché aux 12e et 13e étages d’un immeuble récent : idéal pour la lumière et la vue sur la tour Eiffel. C’est là qu’il a préparé et sélectionné la cinquantaine d’œuvres – dont trois grand formats – d’une « rétrospective » qu’il expose jusqu’au 6 mai 2023 à la galerie Les Arts dessinés - Huberty & Breyne, 19 rue Chapon, dans le Marais. Une adresse qu’il connaît bien. Et pour cause : à son arrivée à Paris en 1981, il y partageait un appartement avec deux amis angevins. Une coloc d’hier qui ressurgit aujourd’hui, tel un clin d’œil des choses de la vie.
Les cours du soir aux Beaux-Arts d’Angers…
« Je suis fils de paysans vendéens. La grande ville la plus proche de la ferme familiale, c’était Cholet. » Puis Martin Jarrie sourit. Amorcer ainsi le récit de son parcours, c'est évoquer le « transfuge de classe », un thème qui fait couler beaucoup d'encre ces temps-ci… Mais il ne va pas s'étendre sur le sujet. Il déroule son histoire, spontanément, simplement.
Dernier d’une fratrie de neuf enfants, il ne savait pas ce qu’il voulait faire quand il était petit. Une seule certitude, toutefois : il n’irait pas au séminaire comme ses deux frères, en dépit de ses années de collège et lycée passées au sein de l’Institution Sainte-Marie. Sa chance ? « Les catalogues sur les chefs d’œuvre de l’art que recevaient mes frères. » C’est là qu’il a découvert Picasso, Matisse, Goya… Parallèlement, il a toujours été doué avec un crayon : « Enfant, je dessinais beaucoup. J’aimais ça. » Plutôt solitaire, dans une maison sans télé, chaque feuille blanche amorçait le début d’une nouvelle histoire, ouvrait une fenêtre sur l’imaginaire. Puis il y a eu ce dessin envoyé à une école d’art, dont les mérites étaient vantés dans le magazine Le Pèlerin. Peu de temps après, un représentant de cet établissement a frappé à la porte de la ferme familiale pour proposer des cours de dessin au gamin, alors aussi éberlué que ses parents. Un premier signe. Le second, ce seront les cours du soir aux Beaux-Arts d’Angers, alors que Martin Jarrie s’ennuie, le jour, en fac de lettres à Belle-Beille. La suite : la coloc parisienne, la tournée des agences de pub de la capitale pour montrer son « book » et sa première commande pour une campagne destinée à faire la promo du cirage Lion Noir. Une illustration saluée, de surcroît, par un prix décerné par quelques « professionnels de la profession ». Nouveau coup de bol : Pierre Marchand, le fondateur de Gallimard Jeunesse, fait partie du jury. Martin Jarrie est repéré. Sa carrière est lancée. Presse, édition, expositions… il ne va plus arrêter.
Changement d’agent, de style et de nom
Autre tournant dans sa vie : l’abandon de son vrai nom, Jean-Pierre Moreau. Un choix qui n’a rien d’un caprice, ni d’une coquetterie. Plutôt timide et discret de nature, l’artiste s’est longtemps planqué derrière ses dessins. Des dessins auxquels il a soudain eu envie de donner une tonalité moins réaliste et plus personnelle. À l’orée des années 1990, il profite d’un changement d’agent pour faire évoluer son style et signer Martin Jarrie. « La Jarrie est le nom de la ferme où je suis né. Puis, lorsque j’ai eu 18 mois, mes parents se sont installés à proximité de la ferme Saint-Martin. » Il associe alors les deux noms qui le relient à son enfance, à son passé. Une sorte de retour aux sources, accompagné de longues séances sur un divan. Depuis la naissance de Martin Jarrie, il se dit influencé par la nature, le surréalisme, l’art brut, l’art contemporain, les arts premiers. Parmi les expositions qui l’ont marqué, il cite volontiers celle consacrée à André Breton au Centre Pompidou en 1991. Il évoque également le peintre américain Robert Zakanitch, dont les œuvres ont été, pour lui, « un choc ».
« Comme les planètes autour du soleil »
Il termine son « déca » au Hibou. Puis ce sera direction Bobigny : « Je donne un cours à des enfants et des adultes sur la façon de peindre des fruits et des légumes », confie Martin Jarrie. Un exercice qui lui rappelle son tableau représentant de « grands fruits chinois ». Une œuvre qu’il a pensée tel le portrait de famille, « en noir et blanc », qui trônait dans la chambre de ses parents. Avec, au centre, son père, sa mère, et autour, « comme les planètes autour du soleil », les portraits de ses frères et sœurs par ordre de naissance. Le souvenir est précis. Sans nostalgie. Car Martin Jarrie a décroché avec sa Vendée natale. Il ne s’y rend plus que très rarement. Même scénario avec l’Île de Ré, où il avait ses habitudes dans les années 1980 : « Je n’y vais plus. » Pour flâner, se balader, il préfère désormais le Portugal. À Paris aussi, il marche : « C’est mon seul sport. » En fin de journée, il relie volontiers son atelier du XVe à son domicile du Xe, d’une traite. Un dernière confidence pour la route : en 2024, il sortira un beau livre chez Gallimard. Avec des textes. De lui ? « Non. » Martin Jarrie n’en dira pas plus. Excepté que son fils, en classe de Terminale, préfère la science politique au dessin : « Il aimerait devenir journaliste. »
Martin Jarrie - Rétrospective : jusqu'au 6 mai 2023 à la galerie Les Arts dessinés - Huberty & Breyne : 19 rue Chapon, Paris 3e. Tél: 0 1 71 32 51 98 -