Il aurait eu sa place dans le casting de César et Rosalie, Les choses de la vie ou encore Vincent, François, Paul… et les autres. D’abord parce que Cyril Arvengas est fan des films de Claude Sautet, avec leurs scènes de bouffe, brasseries enfumées et bandes de copains. Ensuite, parce qu’il a quitté le collège en classe de 3e pour lui préférer une école de théâtre. Il a débuté au Studio 34, puis enchaîné avec le Conservatoire d’art dramatique. « J’avais envie de vraie vie », résume ce petit-fils de diplomate. Pas pour lui bachot, bachotage, bonnes notes et « filer droit ». C’est son côté Antoine Doinel. D’ailleurs, comme Jean-Pierre Léaud et François Truffaut, Cyril Arvengas est né à Paris : « sa » ville. Celle qu’il aime arpenter, humer, toucher, observer, quitter pour mieux la retrouver.
« J’ai été le fils de Nathalie Baye dans Vénus beauté »
Pour financer son premier « deux pièces-cuisine », Cyril Arvengas a fait de la figuration. Rien ne lui faisait peur. « J’ai porté un kilt pour interpréter un mort », se souvient-il en se marrant. Son plus grand rôle ? « J’ai été le fils de Nathalie Baye dans Vénus beauté. » Tonie Marshall l’avait repéré. Parce qu’il a de l’allure, le sale gosse du 16e. Il a du chic et même du chien. Y compris en tenue militaire, quand l’armée l’appelle en 2000. Il n’essaie pas d’y échapper. Il veut plaire à son père, qui a bossé autrefois pour le cabinet d’André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles. Cyril Arvengas va quand même éviter les corvées de troufion en intégrant le Service cinématographique des armées, à Ivry. Bonne pioche et bonne planque pour le cinéphile. La suite ? Clap de fin pour les castings et la figuration. Cyril Arvengas devient vendeur chez agnès b, antiquaire, décorateur, grand voyageur... L’ex-apprenti comédien se fait caméléon, touche-à-tout, aventurier, avec une escale en Inde, où un Maharadjah lui confie un ancien palais à transformer en hôtel.
« Gabriel, en hommage à Un Singe en hiver »
Retour à Paris. À l’orée des années 2010, alors qu’il achète une bague de fiançailles rue du Mont Thabor, Cyril Arvengas passe devant la boutique Eglé Bespoke, dont le patron cherche un vendeur. Il postule illico dans cette maison de vêtements pour hommes, spécialisée dans le sur mesure. On le prend, il apprend le métier et reprend le business lorsque les propriétaires veulent vendre. Cela fait huit ans que Cyril Arvengas a ainsi créé Maison Gabriel Paris, au numéro 26 de la rue du Mont Thabor. Pourquoi « Gabriel » ? « Pour le personnage de Gabriel Fouquet dans le livre d’Antoine Blondin, Un Singe en hiver. » Quant à la boutique, un mouchoir de poche entre Concorde et Vendôme, elle mêle ambiance de club anglais, boudoir, QG de copains, maison de couture, avec table de drapier, chaises d’écoliers, fauteuil crapaud, canapé capitonné... Un lieu qui respire le bon goût, les choix sûrs, où cachemire, Harris Tweed, shetland, prince-de-galles et seersucker se côtoient. Car quand on parle chiffons avec Cyril Arvengas, ses références s’appellent Old England, Les Laines écossaises, Arnys… autant d’institutions parisiennes, disparues aujourd’hui, mais qui ont longtemps fait le bonheur des élégants de la capitale.
« Le choix du tissu me guide »
Inès de La Fressange, Vincent Darré, Olivier Saillard, Benoit Astier de Villatte… font partie des clients de Maison Gabriel. À cela s’ajoute la famille Frey, avec une complicité qui s’est créée entre Pierre Frey et Cyril Arvengas : le premier lui apporte des tissus d’ameublement qu’il édite, le second les détourne en vestes et accessoires. « À chaque fois que j’imagine un vêtement, c’est le choix de la matière qui me guide », confie le tailleur. Avec des prises de mesures et autres essayages qu’il réalise dans un petit espace aux airs de scène de théâtre : clin d’œil à son passé de comédien-figurant… Créatif, inventif, instinctif, Cyril Arvengas fourmille d'idées, multiplie les collaborations. On lui doit, par exemple, une paire de mocassins et une autre de derbies « Golf » avec J.M. Weston. À venir, au printemps 2023 : la réédition d’un modèle de veste de Francis Dorléans, l’ancien chroniqueur à Vogue, devenu antiquaire du côté de Jussieu et disparu en 2022. Parmi les autres projets en cours, citons la réédition d’un costume, avec imperméable, chemise et cravate, le tout ayant appartenu à André Malraux. Une sorte de boucle bouclée avec le passé qui lie l’écrivain à la famille Arvengas. Une nouvelle dynamique aussi, qui accompagne la vente en ligne chez Maison Gabriel, proposée à partir de la fin mars 2023. Avec le soutien de sa compagne, l’architecte d’intérieur et webmaster Dorothée Fellix, Cyril Arvengas voit plus loin encore. Il parle d’une possible deuxième boutique, rive gauche, dans un coin de Saint-Germain-des-Prés encore un peu préservé du Flore et son folklore. Éviter le m’as-tu vu. Slalomer. Cultiver le contre-courant. Entré dans une sorte de « résistance », comme il dit, Cyril Arvengas cherche à se démarquer pour mieux se faire remarquer. Tout comme ceux qui viennent s’habiller chez lui.
Maison Gabriel Paris, c'est aussi ICI.