Elle a pris le temps d’aller chercher des chouquettes chez le boulanger. Les tasses sont prêtes. Le café n’a plus qu’à être servi lorsque la designer Florence Bourel ouvre la porte de son atelier, situé cité de Crussol, dans le XIe arrondissement de Paris. Ici, l’hiver, c’est un peu chacun chez soi. Mais aux beaux jours, les cours qui se succèdent sont peuplées de tables, bancs, chaises, tout le monde se parle et on parle de tout le monde… Cette drôle de cohabitation, ça lui a plu d’emblée. Mais ce qui l’a le plus séduite, « c’est d’entendre rugir les tigres du Cirque d’hiver, tout proche ». Une touche d’exotisme tel un écho à sa petite enfance passée à Dakar, où elle est née. Ce qui lui en reste ? « Des lumières, des odeurs et surtout des couleurs. » Une ouverture d’esprit aussi, doublée d’une soif de liberté. Elle n’a tenu que deux années en tant que salariée dans une agence d’architecture intérieure. Pas pour elle les espaces trop étriqués où le cadre sans appel d’air. Car elle sème la fantaisie. Et ceux qui aiment, la suivent.
« Je voulais créer des slogans… »
Florence Bourel avait 7 ans lorsqu’elle a quitté le Sénégal avec ses parents. Son père, prof de droit international privé, venait d’être nommé à Paris-II, rue d’Assas. Elle a donc grandi sur la rive gauche, entre Saint-Germain-des-Prés, où elle habitait, et l’École alsacienne où elle a fait toute sa scolarité. Son bac B en poche, elle regarde du côté des écoles d’art, en vue de bosser dans la pub : « Je voulais créer des slogans... » Mais, ça, c'était avant d'intégrer Penninghen, où elle apprend à dessiner et se passionne pour l’histoire de l’art. Après avoir loupé les Arts déco « à deux points près », elle enchaîne un cursus en design produit et architecture intérieure à LISAA à Paris, puis à l’Instituto Europeo di Design à Rome. De la capitale italienne, elle se souvient des balades sur sa mobylette et de ses repas dans les trattorias. À son retour en France, elle multiplie les petits boulots, participe à de nombreux concours et à la création de l’association Poisson d’Avril, dédiée à la promotion de designers. La maison Hermès la repère et lui confie la scénographie de certaines de ses vitrines. C’est aussi le début d’une collaboration – qui va durer cinq ans – avec le graphiste et designer franco-suisse Ruedi Baur, qui lui demande de concevoir la signalétique de lieux culturels. Même scénario, dans la foulée, avec le studio Des Signes, qui la sollicite pour le château de Fontainebleau ou encore le Palais de la Découverte. Mais les processus sont longs et lents avec les institutions. Trop d’administratif pour la gamine de Dakar. En 2012, Florence Bourel veut revenir à l’objet, au mobilier, à un travail plus incarné et qui la reflète davantage. « Je sentais que je devais faire ce changement de mode opératoire. » Son instinct la guide alors jusqu’à l’éditeur de tapis Toulemonde Bochart.
Surtout ne pas se fermer, ni s’enfermer
Ses premières propositions ne font pas l’unanimité au sein de la maison Toulemonde Bochart. « Mais je suis tenace », dit en souriant Florence Bourel. Alors elle réitère, insiste, ne lâche rien. Jusqu’à son projet baptisé Baya. Une interprétation très colorée des motifs traditionnels du block print du Rajasthan, avec des effets de tissage. « C’était aux antipodes du couleur taupe ! » Toulemonde Bochart dit « oui ». Depuis, Baya, tapis tufté main, en laine et soie végétale, est devenu l’un des best-sellers de l’éditeur. Quant à Florence Bourel, elle accompagne désormais Toulemonde Bochart dans la création de ses collections. Un travail qui lui laisse du temps pour d’autres clients, d’autres idées, d’autres imaginaires pour créer son propre univers. Surtout ne pas se fermer, ni s’enfermer. Elle collabore donc avec d’autres maisons. À l’instar de petit h, le laboratoire créatif et récréatif de la maison Hermès. Florence Bourel s’y illustre avec des miroirs, bracelets, lanternes en cuir et soie…
La designer a également signé le luminaire Plein Phare pour les cristalleries Saint-Louis. « J’aime le dialogue avec les artisans. Ensemble, on échange des arguments sur les techniques et les savoir-faire », explique-t-elle. Depuis 2022, Florence Bourel travaille aussi avec Diptyque et Roche Bobois. Pour le premier, elle a conçu une collection d’assiettes, plateaux, vide-poches et dessous de verre, tous inspirés par l’ovale – emblème de la maison Diptyque –, que la designer pare de teintes aquamarines et à partir duquel elle compose de nouveaux motifs graphiques. Pour le second, Florence Bourel a imaginé une lampe à poser, telle une sculpture, réalisée à partir de sept plaques de deux marbres différents. Elle a joué, ici, avec les contrastes, tout en puisant dans quelques chutes de production. Car elle aime offrir une nouvelle vie aux matières recyclées comme à celles truffées de défauts et destinées au rebut. Une certaine façon de cultiver les différences.
Lauréate du FD100
Le carnet de commandes et l’agenda de Florence Bourel se remplissent déjà pour 2023. Elle doit ainsi développer une collection de tables indoor et outdoor pour Ibride. Une série de miroirs est en cours pour petit h. Et la designer se dit tentée par une présence au « off » du salon du meuble de Milan, au printemps prochain… L’indépendance, ça a du bon. Surtout quand on a le vent en poupe. C’est le cas de la pensionnaire de la cité de Crussol. En janvier 2022, elle a fait partie des lauréats du FD100, prix international décerné à 100 projets qui font rayonner le design français dans le monde. « C’était la première fois que je recevais un prix. » De surcroît dans la salle des fêtes du palais de l’Élysée, en présence du président de la République.
Florence Bourel est aussi ICI.