Il reçoit dans un café de la rue de l’Annonciation, à deux pas du métro La Muette. Sa boulangerie de la rue Lekain, toute proche, est trop petite. Un mouchoir de poche, doté d’une baie vitrée qui sert à la fois de vitrine et de comptoir de vente. À l’ancienne. Pour Adriano Farano, ce sera un café serré, à l’italienne. Né sur la côte amalfitaine, pas pour lui la version allongée de l’expresso parisien. Puis, une fois réchauffé, il déroule le fil de sa vie. Un parcours en marge de tout plan de carrière. Il a 9 ans quand il assiste, en direct, sur l’écran de télé familial, à la chute du mur de Berlin. C’est le déclic. Il veut devenir journaliste. Plus tard ? Non. Tout de suite. Il démarre un mini journal pour les élèves de son école, près d’Amalfi. Ses études supérieures, il les consacre aux sciences politiques. Puis Erasmus le propulse à Strasbourg, où il fonde le Café Babel, un journal associatif, européen, traduit en six langues. Il a la presse dans le sang. Débrouillard, pugnace, passionné, Adriano Farano décroche une bourse, en 2010, pour partir étudier à Stanford. Il embarque femme et enfants - âgés de 2 ans et 3 mois - dans l’aventure. Il les installe dans la baie de San Francisco, où la famille va rester neuf années. Le temps pour le globe-trotter et startupper de donner vie à un journal télévisé, conçu telle une revue de presse tout en vidéos - « l’iPad venait de sortir… » -. Un concept qu’il revend en 2016, « l’année où Trump est élu président ». Le journaliste cherche alors à quitter les États-Unis. Il a envie d’autre chose. Il veut « un retour aux sources ».
Un blé ancien venu de Sicile
Bon mangeur, Adriano Farano s’intéresse au pain. « Sa simplicité m’attire », confie-t-il. Encore en Californie, il fabrique un four en argile dans lequel il réalise ses premières miches et pizzas. Puis, sa curiosité de journaliste - on ne se refait pas… - le pousse à enquêter sur ce que cache l’industrialisation du pain. Pourquoi cet aliment devient-il « mauvais pour la santé » ? Pourquoi de plus en plus de consommateurs s’en méfient, voire s’en éloignent ?... Ses investigations donnent naissance au livre Je ne mangerai pas de ce pain-là, publié par les éditions du Rouergue en octobre 2020. De façon concomitante, Adriano Farano pose ses bagages à Paris, pour démarrer « une nouvelle vie ». Pour offrir à ses enfants « une culture européenne ». Il plaque tout et devient boulanger. Son parti pris : « Faire du pain à partir d'une farine tirée d'un blé ancien. » Où trouve-t-il cette matière première si particulière ? En Sicile, « grenier à blé depuis l’Empire romain ». Rien de nostalgique dans tout ça. Juste l’envie de bien faire et de faire du bon. « Nous avons fait tester, in vitro, 35 variétés de blé par des laboratoires de renommée internationale. Puis, nous avons sélectionné une farine de blé dur de variété ancienne : la seule dont le gluten se dégrade, une fois associée à une fermentation au levain naturel. Par ailleurs, l’indice glycémique de notre pain est deux fois moins élevé que celui du pain traditionnel. Autrement dit : il donne davantage de satiété et convient même aux diabétiques. Il est également très riche en nutriments : il contient presque autant de fer que la viande rouge. » Autre vertu de ce pain à part : « Il se garde une semaine. »
« Il va falloir être agile »
Adriano Farano ouvre sa première boulangerie, baptisée « Pane Vivo » - « le pain qui fait du bien » -, dans le XXe arrondissement, une dizaine de jours avant le premier confinement. Ambiance… Surtout que son idée de départ était de ne fournir que les restaurants. Pas simple quand ces-derniers ferment leurs portes les uns après les autres. « Je me suis dit : il va falloir être agile. » Il met alors son pain dans un chariot, ouvre la porte vitrée de sa boutique, joue un air à la guitare et, avec son chef boulanger, ils demandent aux passants : « Qui veut du pain ? » Le succès est immédiat. Mieux encore : avec un modèle de start-up et des investissements dans la R&D - pour poursuivre ses tests sur la farine -, il est le seul boulanger de France avec le statut de « jeune entreprise innovante ». Depuis, Adriano Farano a embauché dix-huit personnes et créé quatre autres boulangeries « Pane Vivo » dans Paris. Il est également présent sur le marché de la place Monge, sur celui du boulevard de Port-Royal et dans les magasins Biocoop. La suite ? Il vient de prendre un laboratoire plus grand que celui d’origine, du côté de République. Il réfléchit à ouvrir des boulangeries à Lyon ou encore Bruxelles, « si je trouve des partenaires financiers ». Il souhaite développer sa présence en restauration. Et, depuis peu, il propose une formule d’abonnement, avec envoi du pain par Chronofresh chaque semaine, deux fois par mois ou encore une fois par mois. Et ce pour le même prix qu’en boutique. À savoir 14,50€ le kilo. Enfin, pour les fêtes de fin d’année, il a concocté une brioche à base d’huile d’olives et de sucre de fleur de coco, qu’il décline avec du chocolat noir ou des noisettes du Piémont IGP. Pour Noël, la version XXL mêlera oranges confites et chocolat. Tout un programme pour cet hyperactif, qui donne des cours d'entrepreneuriat à l'école de journalisme de Sciences-Po, se déplace à vélo dans Paris, fait la cuisine à la maison, cale une heure de yoga dans sa semaine et ne dort que six heures par nuit.
Pane Vivo est aussi ICI.