Il préfère rester debout. La rencontre a lieu au milieu des tapis suspendus, dans le showroom parisien de la maison Toulemonde Bochart. Une adresse où le designer et architecte d’intérieur Éric Gizard a ses habitudes. Et pour cause : ici, on le sollicite depuis une quinzaine d’années pour dessiner des tapis. Son petit dernier s’appelle Glass : « Il s’inspire d’une série de photos d’échantillons de verre colorés, que j’ai réalisés chez un maître verrier, dans la Marne. » Ce nouveau tapis marque aussi un retour à la laine, « après un travail avec du chanvre qui, une fois teint, prend les couleurs de façon aléatoire ». Des imprévus qui plaisent à Éric Gizard. « Les défauts créent comme une nouvelle matière et donnent de la profondeur à celle-ci. » Une certaine idée de l’alchimie pour celui qui excelle aussi dans l’ultra précis, lorsqu’il aménage des cabines pour Air France, conçoit des hôtels pour le groupe Accor ou dessine un lit pour Roche Bobois. Parce qu’il touche à tout : objets, pièces de mobilier, studio parisien de 15 m2 ou appartement dix fois plus grand dans le XVIe arrondissement, rien ne le laisse indifférent. « J’ai la curiosité d’aller voir. » Celle aussi de rencontrer des artisans et découvrir leur savoir-faire, « car je suis empoté avec mes mains », reconnaît-il. Résultat : Hermès, Artelano, Steiner, Saint-Louis, Hennessy, Salviati… font appel à lui, à son œil, à son goût, à l’élégance de la simplicité qui émane de ses créations.
« À l’école, on n’apprend rien ! »
Éric Gizard se dit autodidacte. « À 21 ans, j’ai croisé la route de Michel Boyer et Jean-Michel Wilmotte. J’ai découvert leur métier. » Très vite, le design, l’architecture et ceux qui en font, le passionnent. Le soir, il prend des cours aux Arts appliqués, à l’École Duperré. Le jour, il range « le placard à matières et couleurs » de l’agence d’architecture de Michel Boyer. Un apprentissage sur le tas, qui reste le plus pertinent à ses yeux. Son message aux stagiaires qu’il engage aujourd’hui : « À l’école, on n’apprend rien ! » Avec lui, « la construction d’une maison commence par la poignée de porte, puis on bâtit le reste autour ». Quant aux fenêtres, « on les place, avant tout, face à une vue ». Et lorsqu’on lui parle de la conception d’un musée, il explique : « Tout architecte doit s’effacer face aux œuvres. » Le parti pris est radical. Il reflète l’esprit du travail d’Éric Gizard, tout en sobriété, sans apparat, aux antipodes du « m’as-tu-vu ». « Je suis nourri par le passé, mais je ne veux pas le copier », dit encore celui qui a été propulsé « designer de l’année » à Maison & Objet, en 2005, aux côtés d’Andrée Putman.
« Paris, j’en ai fait le tour… »
Un peu avant le Covid, Éric Gizard s'est remis à la photographie. Il a repris son Leica, pour poser « un autre regard sur le détail ». Son thème de prédilection : « La nature morte et l’envie de montrer l’invisible. » Il se focalise, en particulier, sur « les petites plantes sèches » et son compte Instagram en témoigne. « Quand je dialogue avec un client, je lui parle construction, lumière, architecture… et pour soutenir une argumentation, je m’appuie sur des séries d’images que j’ai pu faire. » Si bien qu’en 2023, il prévoit d'exposer une sélection de ses photos, dans un espace à Paris, « sans doute sur la rive gauche ». Il vit pourtant rive droite, aux abords du canal Saint-Martin. Mais il a envie de changement. Surtout depuis les confinements : « Aujourd’hui, je ne vois que mes amis proches et ne plus pouvoir entrer dans un musée spontanément, sans avoir à réserver à l'avance, ça me prend la tête… Paris, j’y ai eu 20 ans en 1980. Depuis, j’en ai fait le tour. » Alors direction la campagne. Il vient de s’offrir une grange à l’abandon dans l’Aveyron, « où tout est à faire ». « Il n’y a rien autour. J’y serai seul, avec mon chien… Car, aujourd’hui, j’ai besoin d’espace et de silence. » Une prise de recul qui aura une influence sur son travail. Il en est conscient. Il ne s’en inquiète pas : « Mes créations nécessitent du temps pour les réaliser et elles ne relèvent pas d’un achat impulsif. » Fini les états d’urgence. Plus rien ne presse. Et ça réussit plutôt bien à cet adepte de l’intemporel : « Voilà plusieurs années, lors d’un voyage en Chine, j’avais dessiné une lampe en albâtre, inspirée par les crêtes des montagnes. Le projet était déposé chez un éditeur. Je n’en avais plus de nouvelle. Or, je viens d’apprendre que la designer Olivia Putman en a commandé une paire. » « Tout vient à point à qui sait attendre », dit-on. C’est dans cet état d’esprit que démarre la nouvelle vie d’Éric Gizard, bientôt rythmée par des trajets Paris-Rodez. Avec, d’un côté, la conception d’un bureau de 1 000 m2 pour des notaires, au cœur de la capitale. De l’autre, l’installation du designer dans l’Aveyron, « sur un terrain en pente, situé plein Sud, où la grange domine tous les environs ».
Éric Gizard est aussi ICI.