« Je maquille les paysages. » C’est sa façon de résumer une partie de ce qu’elle fait dans la vie. Un signe distinctif. Une sorte de signature. Hélène Muheim le dit avec beaucoup de naturel. Comme si c’était évident, logique, instinctif d’ajouter fards, poudres, ombres à paupières, sur des dessins commencés à l’encre, puis terminés au crayon. « Je travaille la matière par strate. Je frotte, j’estompe, jusqu’à ce que les pigments rentrent dans la peau du papier. » Un papier Splendorgel, signé Fedrigoni, « doux et lisse comme la peau d’une jeune fille », dit-elle encore. Le maquillage ? « C’est la touche finale. C’est pour mettre en lumière le paysage, lui apporter de la douceur. »
Elle ne s’inspire que de la nature, du végétal, de l’extérieur, de ses errances en solitaire, avec une prédilection pour la montagne, qu’elle connaît bien. Et pour cause : Hélène Muheim a passé son enfance à l’Abbaye de Sénanque, entre montagnes suisses et Lubéron. Au sein de ce monastère cistercien, son père avait été sollicité pour créer un pôle culturel destiné à accueillir artistes plasticiens, musiciens, sociologues, théologiens… Un drôle de terrain de jeu pour une gamine de 5 ans : « J’allais dans les chambres de l’abbaye et les fenêtres ouvertes sur la nature ont été mon premier rapport à la peinture. » Une autre idée du cadre…
Elle entre aux Beaux-Arts à 17 ans
Le vrai déclic, c’est une exposition consacrée au peintre et graveur Giorgio Morandi que ses parents l’emmènent voir en Italie. Hélène Muheim a 14 ans. Elle va dépenser tout son argent de poche pour s’offrir le catalogue de l’expo, qu’elle a toujours chez elle. « J’ai été fascinée par la lumière et la vie que Morandi donne à ses pots, carafes, objets… » À cet instant, intégrer une école d’art devient comme une urgence. L’adolescente veut être peintre. Après une dérogation et une classe prépa à Lyon, Hélène Muheim n’a que 17 ans lorsqu’elle est acceptée aux Beaux-Arts de Montpellier.
« On me demandait ce que j’avais fait avant. Je répondais : rien ! »
Sa quête, c’est la technique. Hélène Muheim veut apprendre à tenir un crayon, un pinceau, s’approprier une page blanche ou une toile, pour ensuite s’échapper dans la nature avec laquelle elle a toujours eu « un rapport fort ». « Enfant, avec mes parents et mes quatre frères et sœurs, nous partions marcher en Suisse, jusqu’à 2 500 mètres d’altitude. Nous dormions dans des refuges en haute-montagne… Je ne disais rien à mes copains de classe, qui se seraient moqués de moi ! Il n’en demeure pas moins que mon rapport au paysage a commencé là, dans ces excursions en montagne. » Une montagne qui donne, mais qui prend et reprend aussi : « L’un de mes frères est mort dans une avalanche aux Etats-Unis. J’avais 20 ans… » Une fois diplômée, elle part à Londres, puis Paris, cherche les bons moyens de s’exprimer, flirte un peu avec la photo, expose ses peintures, conçoit des installations in situ, multiplie les expériences graphiques et poétiques... Hélène Muheim tâtonne, cherche sa voie, retourne au dessin. C’est un concours de circonstances qui la propulse dans une galerie parisienne en 2012. « On me demandait ce que j’avais fait avant. Je répondais : rien ! Mais il faut bien commencer un jour… »
« Faire sortir le paysage du cadre »
Électron libre, Hélène Muheim vit et travaille aujourd’hui dans sa maison à Montreuil. C’est sous les toits qu’elle a installé son atelier. Au calme. Bien planquée. D’ailleurs, quand elle « rentre » dans un dessin – comprenez : quand elle le démarre et s’en empare -, elle fait le vide autour d’elle. Seul son chien, Diego, a la permission de se balader chez elle. Depuis une quinzaine d’années, l’artiste a trouvé son identité, son support, ses outils. Ses dessins de paysages naissent à la suite de voyages, dont un chaque année en Inde. « Je ne dessine pas sur place, mais j’écris, je prends des photos, j’amorce des croquis et je restitue dans mon atelier de Montreuil. » Son obsession : « Faire sortir le paysage du cadre. » D’où ses diptyques et triptyques de panoramiques rêvés, fantasmés. Son fil conducteur : « La recherche de l’accident, comme l’imprévu et l’inattendu que l’on peut avoir avec la photo argentique. » Franco-suisse, née à Annecy et fan de Léonard de Vinci, Hélène Muheim est désormais représentée par la galerie Valérie Delaunay, à Paris. Du 15 septembre au 15 octobre 2022, elle y exposera une sélection de ses paysages. Un accrochage en marge de sa monographie, fraîchement sortie d’une imprimerie de Montreuil. Un ouvrage de 96 pages, dont le titre, Quelque part dans l’inachevé, fait de l’œil à cette même phrase de l’écrivain autrichien Rainer Maria Rilke. Quant à la direction artistique du livre, elle a été confiée à Helena Ichbiah (Ich&Kar), qui a utilisé le même papier que celui des œuvres originales de l’artiste. Un souci du détail et de l’élégance en accord parfait avec l’esprit dans lequel Hélène Muheim bûche, bosse, potasse et s’active des sommets jusque sous les toits.
Hélène Muheim est aussi ICI. Et sa monographie est dispo LÀ.