Rendez-vous à Barbès. Se faufiler entre les revendeurs de tout et n’importe quoi. Slalomer au milieu des trottinettes lâchées à vive allure sur le trottoir. Passer une tête chez Gibert, face à la rue de la Goutte d’Or, où Nerval dans la Pléiade s’achète d’occasion… C’est dans cet environnement que Laur Meyrieux vit et travaille. Planquée dans un atelier en fond de cour, à l'abri des trafics et descentes de flics, elle n’entend rien de cette agitation urbaine, parisienne. Ici, elle peut se concentrer sur ses papiers. Des papiers peints. Mais rien à voir avec les rouleaux en pile dans les grandes surfaces de bricolage. Ses créations se vendent par pack de feuilles. Une autre histoire. Un autre mode opératoire.
Encres sans solvant et poudres minérales
Tout commence par une sélection savante et précise de papiers d’Asie, en fibres naturelles. Ensuite, c’est quartier libre : Laur Meyrieux froisse, plie, replie, déplie, humidifie, laisse sécher… selon l’humeur et l’inspiration. « Puis, j’interviens avec des encres sans solvant et des poudres minérales. » Un geste bon pour la planète, à l’instar de l’engagement de l’artiste pour Reforest’Action, entité mobilisée pour la protection des forêts. Lorsqu’une feuille est finalisée, elle la photographie pour une ultime phase de post production numérique. Signe particulier de cette méthode : imprimé à la feuille, tel un clin d’œil au domino d’hier, ce papier peint permet tous les assemblages et mariages possibles. Chacun fait ce qui lui plaît. Et en cas de manque d’idées ou d’audace, Laur Meyrieux donne le ton pour une composition en version très originale. Feuilles posées à la verticale ou à l’horizontale, mélange de couleurs ou de motifs, bout à bout, côte à côte ou patchwork, tout est possible pour singulariser un décor, sortir des codes de la déco. C’est durant les périodes de confinement que Laur Meyrieux, alors coincée au Yucatan, a multiplié les tests, affiné son processus. Aujourd’hui, ses feuilles, de fabrication écologique, anti-feu et « made in France », se commandent sur son site Web. Elles seront également présentées du 8 au 12 septembre 2022, en marge de Paris Design Week, chez Bleu de Cocagne, dans le Marais.
Des vitrines pour la maison Hermès
Avec une grand-mère peintre et un père architecte abonné à la revue Domus, le terrain était favorable pour une sensibilité précoce à l’art. « Toute petite déjà, je peignais, je construisais des maquettes. Si bien que l’on m’a inscrite à des cours de dessin dès l’âge de 12 ans », confie Laur Meyrieux, en servant du thé japonais dans son atelier du XVIIIe arrondissement. Une fois son bac en poche, la Grenobloise intègre les Beaux-Arts de Saint-Etienne. Juste après le lycée. Sans prépa. Pas besoin. Son dossier a suffi à convaincre les profs. Elle enchaîne avec les Arts déco à Paris, « en design de mobilier ». « Je voulais faire de la scénographie et de l’architecture d’intérieur. » Bonne pioche. L’architecte Jean Nouvel ou encore le designer Christophe Pillet la font travailler. Elle s’illustre aussi dans la conception de décors pour la télé et avec des luminaires créés pour Habitat. En 1999, dans le cadre d’une collection de pièces de mobilier, où interviennent des artistes de toutes disciplines, elle croise la route d’un designer japonais. Grâce à lui, un an plus tard, elle réalise un premier projet au Japon. « Ce pays m’attirait depuis toujours », raconte Laur Meyrieux. Impossible d’expliquer pourquoi. « Je le sentais. C’est tout. » En 2001, elle part s’installer à Tokyo, sans parler un seul mot de japonais. Elle y ouvre une agence et sollicite un traducteur matin, midi et soir. Si les débuts ne sont pas gagnés d’avance, elle se fait un nom. Petit à petit. Avec des projets de scénographie sur des surfaces XXL. La maison Hermès lui confie aussi vitrines et événements. 11 mars 2011 : l’accident nucléaire de Fukushima casse un brin la dynamique locale. Laur Meyrieux a envie de bouger. Ce sera d’abord Hong Kong en 2012, puis retour à Paris en 2016. Là, c’est un peu le saut dans le vide, « surtout après quinze ans d’absence ». « Même si je suis restée française au Japon, j’étais dans un mode de vie à la japonaise. » Alors il faut se réadapter, renouer des liens, renouveler les réseaux. Aujourd’hui, en plus du développement de ses papiers peints, Laur Meyrieux vient de signer une collection de tapis pour la maison Toulemonde Bochart. L’Asie ? Ce n’est pas fini. Elle y travaille toujours en tant que directrice artistique, « mais à distance ». Le Covid est passé par là. Le télétravail, ça fonctionne aussi entre Barbès et Ginza.