Rendez-vous rue de la Nuée bleue. Le numéro 11 de cette petite artère strasbourgeoise, planquée entre les quais et la cathédrale, abrite un nouvel hôtel très particulier.
Ancienne demeure de Léonor Marie du Maine du Bourg, maréchal de France, la bâtisse est devenue tribunal après la Révolution, puis commissariat de police de 1897 à 2009. Vidé, quasi abandonné, et ce en dépit d’une façade inscrite aux Monuments historiques, le bâtiment n’a amorcé sa métamorphose en hôtel 4 étoiles qu’à partir de 2017. Un travail de 5 ans, assorti de 60 millions d’euros, pour donner vie au Léonor. Ce chantier XXL a d’abord été mené sous la houlette du cabinet d’architecture DTACC. Puis, côté déco, aménagement et agencement, c’est le Studio Jean-Philippe Nuel qui œuvre depuis 2020. Fin novembre dernier, restaurant, bar et une cinquantaine de chambres – sur les 116 attendues au total - ont ouvert. Un nouveau souffle pour cette adresse historique, au cœur de la Grande île. Adresse que les Strasbourgeois ont vu fermée pendant une dizaine d’années et qu’ils sont en train de se réapproprier. Ils viennent bosser, bouquiner, boire un verre ou un café et, surtout, découvrir la table et son « service continu », du petit déjeuner jusqu’au dîner.
Un chef étoilé dans l’ex-hôtel de police…
Autrefois, l’actuelle salle de resto du Léonor, c’était la brigade des mœurs et le bar, celle des stup’. Entre les deux : la garde à vue. Des espaces alors bien distincts, aujourd’hui réunis, aérés, décloisonnés. L’hôtel de police n’est plus. Place à l’hôtel tout court, sans aucun stigmate du passé policé des lieux. Hauteurs sous plafond, douceur des éclairages et fluidité de la circulation sont désormais de mise. Aux fourneaux : deux duos. Le premier : Nicolas Stamm et Serge Schaal. Les créateurs culinaires de La Fourchette des Ducs, table doublement étoilée à Obernai, supervisent la carte, la retravaillent si besoin et jettent un œil en salle. Le second : Axelle et Mathias Stelter. Chefs exécutifs du Léonor, ces complices sont passés chez quelques pointures de la gastronomie, dont Alain Ducasse, Olivier Nasti et Marc Haeberlin, où Nicolas Stamm les a repérés. Au menu : que du bon, qui fait du bien. Avec trois plats du jour au déjeuner, une offre plus pointue au dîner, un tartare de truite saumonée et autre risotto au safran d’Alsace en cas de petit creux en journée, sans oublier les douceurs du chef pâtissier Matthieu Bray. Bonus en plus : une carte des vins positionnée sur l’Alsace, avec un classement par terroir - le sol d’abord - et pas par cépage. Casting idéal et partition sur mesure. Le tout orchestré par le groupe familial Sogehô, qui possède 8 établissements à Strasbourg et Colmar.
« À 7 ans, je faisais mes premiers kouglofs en cachette »
Thé de Ceylan, pain perdu et confiture de mirabelles de Lorraine à l’heure du petit déjeuner au Léonor. Nicolas Stamm prend le temps avant son tour des cuisines, en amont du coup de feu de midi. Il raconte. Il se raconte. Mauvais élève au collège. Une mère qui le menaçait de finir « chez les frères à Walbourg », s’il ne devenait pas médecin ou avocat. Alors que lui, depuis l’âge de 5 ans, c’est de la cuisine qu’il veut faire. « À 7 ans, je préparais mes premiers kouglofs en cachette. Et, aux Scouts, j’étais le meilleur pour faire griller le poulet sur le feu de camp. » Premier de sa promo au lycée hôtelier de Strasbourg, il est encore ado lorsqu’il intègre la brigade de Jean Schillinger, doublement étoilé à Colmar. « C’était dur, très dur. Surtout psychologiquement. Mais j’ai tout appris dans cette maison. » Puis ce sera l’armée, le dernier contingent, qu’il fait à Paris, dans la résidence privée de la présidence de la République. À savoir : chez François Mitterrand, rue de Bièvre. « En parallèle, j’étais groom au Plaza Athénée, où les clients me donnaient 100 francs juste pour leur rapporter un journal… » C’est l’époque de ses premières économies et de ses premières paires de Weston aussi. À la fin des années 1990, il se lance. Il ouvre La Fourchette, un micro resto de 18 couverts dans 46 m2, rue de l’Étoile – ça ne s’invente pas - à Haguenau. Il achète verres en cristal, couverts en argent et nappes blanches. Ses économies y passent. Mais le succès est immédiat. Son futur mari, Serge Schaal, alors ingénieur au service environnement de la ville de Strasbourg, vient l’aider en salle et à la comptabilité. Dix-huit mois plus tard, La Fourchette est revendue quatre fois plus que les 85 000 francs investis, le duo s’installe à Obernai, décroche une première étoile en 2002, une deuxième en 2005.
Discrimination, violence et addictions
Pour Nicolas Stamm, crise sanitaire et difficultés de recrutement ne sont pas les seules problématiques du moment, dans l’hôtellerie et la restauration. Le chef étoilé parle aussi de discrimination, violence et difficulté d’intégration au sein de certaines équipes. Et pas seulement quand on est une femme. Il évoque également les jeunes accros à l’alcool ou à la cocaïne, pour tenir face au stress en cuisine... Des thèmes dont il s’empare pour faire de la prévention dans les lycées hôteliers de sa région. Quand on lui parle de bien-être au travail, La Fourchette des Ducs lui sert de référence : « Nous avons créé des logements et une salle de sport pour les salariés. En outre, depuis vingt ans, nous avons fait le choix de n’ouvrir que le soir, pour éviter les coupures. » Il a encore des choses à dire, notamment sur l’homosexualité pas toujours facile à vivre dans un univers un peu trop macho parfois… Mais son téléphone sonne. Les affaires reprennent. « Il faudra revenir », suggère-t-il. C’est prévu.
Léonor : 11 rue de la Nuée bleue, 67000 Strasbourg. Le site est ICI.
Et aussi : La Fourchette des Ducs, à Obernai.