Ils s’appellent Maurice, Edmée, Lydie, Pascal, Marius ou Mario… Ils font partie des 9 793 habitants de Saint-Barth. Ils n’ont rien à voir avec les milliardaires qui jettent l’ancre chaque hiver dans le port de Gustavia. Ils n’ont jamais vu La Constellation de Pégase, sculpture de Jean-Michel Othoniel, installée au cœur de l’hôtel Cheval Blanc. Ils n’ont jamais mangé d’accras à la terrasse du Guanahani… Leur quotidien, c’est la pêche, les petits boulots, la vie dans des cases colorées, faites de bric et de broc, puis rafistolées au gré des coups de vent et autres ouragans. Ils passent inaperçus entre le ballet des jets privés et le ronflement des 4x4 de VIP en vacances. Pourtant, ils sont tous nés ici ou à Saint-Martin, l’île voisine. Ils sont les descendants de ces 246 aventuriers, sans le sou, qui ont quitté leur Normandie, Bretagne ou Vendée en février 1627. Direction le port du Havre pour embarquer à bord de La Cardinale, La Victoire et La Catholique, en vue d’une vie meilleure ailleurs…

« Les Saint-Barths ont du mal à garder leur terrain, leur maison, leurs biens »

« Mon premier voyage à Saint-Barth, c’était en 2010. Je faisais un jogging, tôt le matin, j’ai vu ces cases colorées. Elles m’ont intrigué », se souvient François Roelants. Une sorte de premier repérage pour le photographe. Le début d’une quête, d’une enquête. Car il va vouloir en savoir plus. De retour à Paris, il se documente sur cette île des petites Antilles. Cette île à 2 500 kilomètres de Manhattan qui, dès les années 1950 et l’ouverture de l’hôtel Eden Rock, en marge de la baie de Saint-Jean, va attirer les Rockefeller, Rothschild, stars d’Hollywood. Un scénario qui rappelle celui de Saint-Tropez, d’abord port de pêcheurs, puis QG de la bande à Bardot, Vadim et Sagan, devenu aujourd’hui un mix entre centre commercial de luxe, parking de yachts XXL et hôtels pour gagnants du gros lot. « Les Saint-Barths ont du mal à garder leur terrain, leur maison, leurs biens », explique François Roelants. Investisseurs et promoteurs immobiliers multiplient les offres. A cela s'ajoute le passage d’Irma en 2017 : l’ouragan a flingué 95% du bâti couleur locale…

« J’ai pris le temps de frapper aux portes »

En 2018, lorsque le photographe revient sur l’île, c’est pour aller à la rencontre des Saint-Barths et immortaliser ces insulaires à plein temps. Spontanément, François Roelants va leur parler, échanger, les écouter, comprendre et gagner la confiance de ces invisibles. « J’ai pris le temps de frapper aux portes », dit-il. Comme un politique en campagne… Sauf que François Roelants n’a pas de programme à vendre. Il veut juste photographier ces vies, visages, maisons en bout de course, façades tabassées par le soleil et la chaleur qui peut dépasser les 40 degrés en plein été. « Je n’ai essuyé quasiment aucun refus. » Touchés par la démarche et le projet du photographe, les Saint-Barths ont joué le jeu, pris la pose face à l’objectif, tout en restant naturels, sans fards, sans tenues du dimanche… Un travail de reporter pour François Roelants. Un témoignage aussi sur la condition de ceux auxquels on ne donne jamais la parole. Sauf, peut-être, pour savoir ce qu’ils pensent de la tombe « à » Johnny…

« Je voulais un lieu public et pas une galerie »

Les images rapportées par François Roelants sont accrochées jusqu’au 28 juin 2021 à l’Orangerie du Sénat. « Je voulais un lieu public et pas une galerie, car mon travail n’a rien à voir avec de l’art », explique le photographe. En effet, c’est un regard posé, un constat, un hommage à celles et ceux qui restent sur l’île. « Leur » île. François Roelants a d’ailleurs donné sa série d’images à la collectivité de Saint-Barth. Elles sont exposées en permanence au musée territorial, dans le bâtiment de la Wall House, à Gustavia. Beauté d’un geste.

 


 

Formé sur le tard et sur le tas...

Ado, il prenait déjà des photos. Après son bac, François Roelants souhaitait même intégrer l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles. « Mais mes parents voulaient que je fasse des études qui me donneraient un vrai métier. » Alors il va décrocher le concours d’entrée à Sciences Po Aix. Originaire du Nord de la France, il va se rapprocher d’Arles à sa façon, avec l’appareil photo que ses parents lui ont offert « pour mes 18 ans ». Appareil dont il va user, abuser, notamment pour shooter Aix. Une fois diplômé, François Roelants pose ses valises à Paris. Il met la photo entre parenthèses pour travailler dans les relations presse et l’événementiel. Mais chassez le naturel, il revient au galop… A l’automne 2015, il a 36 ans et s’inscrit à l’Ecole de l’Image des Gobelins, « pour m’initier à la technique de la photo ». Une formation aux allures d’immersion : en trois mois, il apprend ce que d’autres maîtrisent en plusieurs années. « Après, c’est la pratique qui fait la différence. » Aujourd’hui, il collabore à plusieurs titres de la presse magazine.

 


 

« Les Saint-Barths », de François Roelants, jusqu’au 28 juin 2021 à l’Orangerie du Sénat. Jardin du Luxembourg : entrée par le 19 bis rue de Vaugirard, Paris 6e. Tous les jours de 11h à 20h.

Catalogue de l’expo, en édition limitée à 800 exemplaires : 50 euros.