Il est grand, mince et ne passe pas des heures en salle de gym. Pourtant, plusieurs fois par an, Jean-Baptiste Née part, seul, affronter les éléments en pleine montagne. Il peut marcher jusqu’à huit heures par jour pendant deux à trois semaines. Une aventure humaine, physique, mais artistique avant tout. Car de ces immersions au plus près de la nature, il rapporte des peintures marquées, frappées, tatouées par la pluie, le vent, la neige… Habitué aux traversées en solitaire, c’est dans un atelier partagé à Montreuil qu’il travaille et donne rendez-vous. Ce matin-là, il a préparé du café et des pains au chocolat. Pas si sauvage, l’aventurier : il sait recevoir. Tout en ouvrant ses cartons à dessins, il commence à raconter son histoire. Celle-ci démarre à Tours, où il est né en 1986. Elle se poursuit à Saumur, où il a grandi, tout en passant ses week-ends à Paris, abonné aux salles de cinéma du Quartier latin.
Initié au dessin en pleine nature, par l’artiste Alexandre Hollan
« Je dessine depuis que je suis tout petit », confie Jean-Baptiste Née. Au collège, il dévore les bouquins de sculpture. Le 7e art le titille aussi. Si bien qu’après un bac littéraire, il intègre une hypokhâgne « option cinéma » à Sèvres. Mais, comme il dit, « entre le désir de faire un film et sa réalisation, il y a trop d’intermédiaires, trop d’étapes ». Incompatible quand on fonctionne, comme lui, à l’instinct et sur l’instant. Pas pour lui non plus, la prépa des concours d’entrée aux grandes écoles. Il leur préfère les salles obscures et ses rendez-vous avec l’artiste peintre Alexandre Hollan, ami de son père. Né en 1933 à Budapest, Hollan initie l’étudiant de 19 ans au dessin en pleine nature. Une révélation. Jean-Baptiste Née intègre alors l’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs, section « scénographie », à Paris. Diplômé en 2012, ses premiers jobs seront pour le théâtre et des expos. Ce qu’il fait encore aujourd’hui, en parallèle à ses expéditions en milieu extrême et à sa relation, de maître à élève, avec Hollan : « J’ai encore beaucoup de choses à apprendre avec lui. »
Ses meilleurs guides : son intuition et la position du soleil
Le choix de la montagne, et notamment du Vercors, pour réaliser ses œuvres, « c’est arrivé en recherchant des lieux de plus en plus solitaires ». Une solitude qu’il cultive aussi durant les voyages qui le mènent jusqu’aux cimes et plateaux, perchés à 2 500 mètres d’altitude. Pour les atteindre, il pratique le stop et la marche : « Une façon d’engager le corps », explique celui qui cite en référence la phénoménologie de Merleau-Ponty. Puis, soit il se fixe dans un chalet d’alpage qu’on lui prête, soit il débarque à l’improviste dans des refuges non gardés, où il croise chamois et bouquetins. La rando, sac sur le dos, il connaît. Sa première tentative, c’était dans le Larzac, avec du matériel photo bien trop lourd à porter. Depuis, il a appris. Il voyage léger, parfois sans téléphone, mais toujours avec une tente « au cas où… » Il sait lire une carte IGN, résister au froid, au vent. Insectes et serpents ne lui font plus peur. Ses meilleurs guides : son intuition et la position du soleil.
La feuille se déforme, le dessin se transforme…
Pour peindre in situ, papier, pinceaux, gouache noire et eau sont ses matières premières. L’aquarelle, quand c’est en couleur. Sans oublier l’huile sur toile, que Jean-Baptiste Née affectionne aussi. Ensuite, il choisit « un point à montrer », une zone sur laquelle il va zoomer, comme un photographe. D’ailleurs, pour lui, la montagne se dresse, se fige, prend la pose et accroche les nuages. Des nuages que l’artiste dit désormais connaître : « Ils sont souvent aux mêmes endroits. » Des nuages dont le mouvement contraste avec la stabilité des massifs et se font ainsi source d’inspiration. La meilleure heure pour œuvrer ? Plutôt la fin d’après-midi, même si depuis quelques temps, il aime aussi la nuit et le travail à la frontale. La suite : une sorte de communion avec les éléments. La pluie bat et s’abat sur le papier qui s’en imprègne, les couleurs changent, la feuille se déforme, le dessin se transforme. Le vent peut s’inviter aussi pour sécher, soulever, balayer… Quant à la neige et au gel, les traces de leurs passages créent de nouveaux motifs, de nouvelles incursions. Pendant ce temps, le peintre s’adapte, agit, réagit, avant de protéger l’œuvre dans un carton, lorsqu’il la juge aboutie. Car aucune intervention n’est menée en intérieur. En revanche, il peut retourner plusieurs fois sur un même site pour peaufiner un dessin ou une toile. Une création unique, sur laquelle une bande blanche est toujours préservée de toute intervention et abritée des intempéries. Cet espace immaculé sert d’étalon pour rappeler la couleur d’origine du support.
Une monographie et une expo à Paris
Jean-Baptiste Née expose son travail depuis 2016. Il l’a fait aussi bien à la galerie Ligne Treize à Genève qu’à Chichilianne, village de 300 habitants dans le Vercors. A l’occasion de la sortie de sa première monographie, Le monde nu (éditions Hartpon), la galerie Camera Obscura, à Paris, présente une sélection de ses œuvres du 19 mai jusqu’au 26 juin 2021. Une façon de découvrir l’univers de cet ancien élève des Arts déco, qui a de la suite dans les idées : « Mon sujet de mémoire était sur la perception visuelle. Je l’avais intitulé Le chemin du regard. » Un ouvrage de fin d’études pour lequel il avait reçu les félicitations du jury. Aujourd’hui, il poursuit cette quête, avec des échappées dans la nature qu’il programme une à deux semaines seulement avant de boucler son sac. A chacun de ses retours à Paris, où il vit, il se dit « saisi par l’énergie et la clarté d’esprit » offertes par la montagne. Lorsque celles-ci « s’évaporent », il est temps de repartir.
Le monde nu : 49 lavis et 6 aquarelles de Jean-Baptiste Née reproduits en quadri-chromie. Photographies : Tristan Deboise. Texte : Philippe Bettinelli. Editions Hartpon. 45 €
Exposition éponyme du 19 mai au 26 juin 2021 à la galerie Camera Obscura : 268 bd Raspail, Paris 14e. Journée dédicace : samedi 22 mai 2021, de 14h30 à 19h.