Faire la route, c’est savoir s’arrêter en chemin sans l’avoir prévu. C’est comme ça qu’une porte s’est ouverte et Anne est apparue. Anne tout court. Car elle ne dit jamais son nom de famille. Ici, au milieu du Poitou, c’est Anne. Autrefois à Paris, sa ville – « Je suis née dans le VIIIe » -, elle déclinait nom de jeune fille, puis, plus tard, celui de femme mariée. Mais, là, à 4 kilomètres du premier village, en pleine campagne, le pedigree complet importe peu. Les priorités sont les œufs à ramasser dans le poulailler, le potager à entretenir, les herbes un peu trop folles à contenir, le bois à couper, la grange à ranger... Une grange surmontée d’une enseigne de « salle des fêtes », dont plus personne ne voulait. Une grange dans laquelle Anne dit avoir entre 2 000 et 3 000 objets. Elle ne compte plus. Surtout que certains d’entre eux ont trouvé refuge jusque dans sa maison. « J’ai du mal à jeter », dit-elle en évoquant les dents de lait de ses enfants qu’elle a toujours dans un tiroir de son bureau. Depuis qu’elle a quitté la capitale, voilà une douzaine d’années, elle fait enfin le métier dont elle rêvait, gamine : « Je chine et je revends. » Même si parfois, elle garde : c’est le cas de certaines peintures ou d’un chapelet en or, dont elle ignorait la matière première au moment de l’achat. Le premier objet qu’elle s’est offert ? « Des marionnettes de la mère Michel et du gendarme de Guignol. Je les ai encore…» Elle était alors adolescente, en vacances chez ses grands-parents en Dordogne. Les activités étaient limitées : la piscine de Bergerac, la lecture et… les brocantes. Anne enfourchait son vélo pour s’y rendre. Le début d’une passion qui n’a jamais cessé.
Guidée par la curiosité
A Paris, en marge de ses études d’histoire de l’art, elle bosse aux puces. Elle adore ça. Mariée à 20 ans, elle oublie un temps la brocante pour accompagner la carrière d’artiste de son mari. Elle n’en dira pas plus. Anne est discrète. Un rien secrète. « Mais je n’ai jamais arrêté de chiner. » D’où l’accumulation dans la grange et ailleurs de vases, verres, assiettes, couverts, pichets, coupes, coupelles, boîtes, paniers, panières, globes terrestres, curiosités de tout genre... Ses périodes de prédilection : la fin du XIXe jusqu’au années 1960. Avec une préférence pour les objets, même si elle craque, parfois, pour des pièces de mobilier en osier. « J’ai mes parcours », confie-t-elle. Ses marchands jalonnent la route qui la mène du Poitou jusqu’à l’Ile d’Yeu, où elle a ses habitudes. Mais elle sillonne aussi la Charente, la Charente-Maritime, les Pyrénées ou encore Bordeaux et ses alentours. « J’achète aussi à la brocante de Poitiers. » Elle ne s’interdit rien : « J’aime le mélange des styles. » Seule la curiosité la guide. Sa dernière acquisition ? C’était à Agen, où elle a cassé sa tirelire pour des couteaux parés de manches en argent massif, de la fin du XIXe. « Je vais vers des objets que je pourrais acheter pour moi. »
Les fidèles sont à l’affût
Anne n’a pas de boutique. Sa vitrine, c’est son site Internet, Rêve de brocante, « où je mets une nouveauté par jour et j’envoie une newsletter par mois ». Le rythme est soutenu et les fidèles sont à l’affût. Des fans du monde entier. Car Anne vend partout : « Je me souviens d’un colis expédié à San Francisco, où les frais de port étaient plus élevés que le prix de l’objet envoyé. » Ce printemps, une cliente japonaise, de passage en Touraine, va venir la voir dans sa grange. Mais c’est exceptionnel, car Anne reçoit peu, voire pas. Quand elle a ouvert la porte de sa maison, ce matin-là, elle ne savait pas que ses photos et son portrait seraient mis en ligne deux jours plus tard sur 1 Epok. Ce n’était pas prévu. L’instant présent a pris le dessus.