Elle vient de Saint-Julien. « C’est un village près de Dijon », précise Marianne Guedin. Son père : un médecin de campagne qui fait des tours de magie, par passion et pour amuser ses trois enfants. Sa mère : elle cultive le jardin familial avec fantaisie. Résultat : le mercredi, à la place du « caté », la jeune Marianne s’initie à faire disparaître des cartes à jouer, se balade au milieu des fleurs, apprend à planter sans se planter. C’est un début. Ça se précise lorsqu’interne au lycée de Dijon, elle dessine, personnages et paysages. Le week-end, elle bricole, fabrique des objets, dans le grenier de ses parents. A 16 ans, elle veut « être artiste à Paris ». Elle vient de faire un aller-retour avec son père, pour voir une expo au Musée d’Art Moderne. C’est la fin des années 1980. Elle aimerait « faire les Arts Déco » Mais, l’année du bac, elle se présente à la philo puis file à l’anglaise avec un compagnon de route, acrobate. Direction : la capitale et la vie de bohème dans l’école d’Annie Fratellini.
« Marchande de fleurs, rue Custine »
Après une prépa à l’Atelier de Sèvres, l’élève Guedin intègre les Arts-Déco : rêve réalisé. « Cette école, ça a changé ma vie. » Pendant trois ans, elle découvre l’architecture, la scénographie, le mobilier et le design. Parallèlement, elle imagine, dessine, conçoit les décors et costumes de l’acrobate dijonnais. Elle est aussi « marchande de fleurs, rue Custine ». Ça permet de payer le loyer et de remplir le frigo. Mais Marianne Guedin veut trouver une façon de mêler son goût pour la nature avec la scénographie, le design. Car sa main verte et avertie a de quoi s’exprimer au-delà des murs d’une boutique à Montmartre. Au hasard de la lecture d’un magazine, elle découvre le travail du fleuriste Christian Tortu. Il vient de créer « un salon de jardin ». Elle est bluffée. Sans rendez-vous, elle débarque dans son atelier, à Odéon, « les cheveux bleus et en doudoune argentée » : elle était venue pour un stage, elle va y travailler trois ans. Suivront des collaborations avec la styliste espagnole Agatha Ruiz de la Prada, puis l’agence de style de Nelly Rodi. Petit à petit, Marianne Guedin affine son savoir, développe son savoir-faire, se fait un œil et un nom.
Le geste est sûr et sur mesure
En 2005, elle créée sa boîte : Dingue de Guedin. Une maison d’édition de vases soufflés, où elle développe aussi des bougies parfumées. Roche Bobois est son premier client. Suivront Takashimaya à Tokyo, des fleuristes new-yorkais et d’ailleurs… Elle donne aussi carte blanche à ses amis designers : Soline d’Aboville, Noé Duchaufour-Lawrance, Guillaume Bardet et Jean-Marc Gady. Elle confie la fabrication de leurs vases à des souffleurs de verre. Parce que Marianne Guedin aime ce travail à quatre mains, les échanges de vues et points de vue. Ses vases se remarquent et la démarquent : en 2006, elle est élue « Créatrice de l'année - Now ! Design à vivre » au salon Maison & Objet. Pas de quoi se reposer sur ces lauriers. A l’orée des années 2010, « la » Guedin se distingue avec ses scénographies monumentales. Le bouche à oreille est immédiat. Maisons de luxe, agences de communication ou d’événementiel, figures de la mode… tous la sollicitent. Ses fleurs mises en scène parent les défilés haute couture comme les soirées du Festival de Cannes. Ses sources d’inspiration ? « L’art contemporain et mes souvenirs d’enfant à la campagne. » Son mode opératoire ? « Je dessine tout. » Ses petits carnets empilés sont noircis, remplis. Elle réalise même des aquarelles pour ses décors de fleurs. Le geste est sûr et sur mesure.
Mauvaises herbes et rétroplanning de l’éclosion
Si Marianne Guedin est un électron libre, elle ne travaille pas en solitaire. Elle a ses fournisseurs, souvent de petits producteurs à l’instar des Fleurs du Moulin, près de Paris, ou des feuillagistes qui la fournissent en « mauvaises herbes », comme elle dit. Car les ronces, clématites ou autres mousses de sous-bois sont toujours de la fête dans ses créations. La spontanéité la guide. Même lorsqu’elle teinte ses fleurs de peinture végétale. Sa seule limite : « C’est le rétroplanning de l’éclosion. » Le seul calendrier auquel se réfère celle qui « écoute la nature ». Son équipe ? « Que des filles ! » Pourquoi ? « Ça me vient de l’internat ! » Avec un casting de choix, car la joyeuse bande compte une botaniste, une ex-universitaire trilingue reconvertie dans l’art floral, une étudiante des Beaux-Arts et une autre des Arts-Déco. Quant à la conception de ses vases, carafes, bougeoirs, tapis ou luminaires, Marianne Guedin pousse la perfection jusqu’à aller chercher le savoir-faire artisanal qui va concrétiser au plus juste, au plus près, ses esquisses et croquis. Ses meilleurs « assistants » ? Ses deux enfants, sa poule « Poulette » et sa chienne « Capucine ». Elle raconte volontiers que sa fille et son fils ont déjà vécu en combi de ski dans son appartement, parce qu’elle devait stocker 3 000 roses sans chauffage et toutes fenêtres ouvertes.
La classe de l’inclassable
Aujourd’hui, Marianne Guedin n’est ni scénographe végétale, ni designer, mais les deux à la fois. La classe de l’inclassable. Avec un parcours singulier et une expérience qui la hissent, pour certains, jusqu’au rang d’artiste. Héritière d’un savoir-faire acquis aux Arts-Déco et d’un art de vivre à la française, elle peut aussi bien décorer les plus belles tables parisiennes que greffer les géraniums d’Agnès Varda au pied d’un platane à Montmartre, où elle vit et travaille. C’est sans doute cette fraîcheur, cette ouverture d’esprit, qui a convaincu l’Atelier de Sèvres de la choisir, dès 2005, pour enseigner, transmettre à son tour.
Et aussi : Marianne Guedin / Paris