Elle vient d’arriver et elle doit déjà fermer. Reconfinement oblige. Le 1er septembre 2020, Marie Sauvage a succédé à Werner Kuchler à la direction du Relais Plaza, à Paris. Werner – tout le monde l’appelait par son prénom –, désormais retraité, incarnait la brasserie la plus chic de la rive droite, depuis 47 ans. Un bail. Il fallait donc le remplacer au sein de cette institution ouverte depuis 1936 et réplique parfaite de la salle à manger du paquebot Le Normandie. Avec Art Déco à tous les niveaux : on navigue entre lustre Lalique dans la partie haute du restaurant, bas-relief classé et autres signes du zodiaque également signés Lalique. « J’ai toujours aimé venir déjeuner ou dîner ici », confie Marie Sauvage. Le Relais ne lui est pas inconnu. Et pour cause : sa « première vie », comme elle dit, c’était dans la communication et le Plaza Athénée faisait partie du portefeuille de l’agence qu’elle a créée en 1997 avec Sophie Douzal. Une agence où elle va rester une dizaine d’années, avec des budgets en lien avec le meilleur de ce qui se mange et de ce qui se boit. Elle s’occupait, en effet, de la com’ de tables telles que l’Arpège ou La Régalade, de la maison de champagne Charles Heidsieck ou encore de l’hôtel La Villa d'Este, sur le lac de Côme.
« Qui a deux maisons perd la raison… »
« Je suis gourmande et j’aime cuisiner. » Autrement dit : chez elle, à Neuilly, c’est elle la chef. Commander une pizza, « c’est très exceptionnel » pour celle qui épluche, taille, coupe, découpe, émince, chauffe, cuit, rôtit, laisse mijoter, assaisonne depuis qu’elle est gamine. Malgré ça, elle n’a pas fait d’école de cuisine. Une fois son bac en poche, elle a fréquenté la rue d’Assas et les bancs de la Catho, le temps d’un cursus en « interprétariat, traduction et communication ». Puis, elle a intégré l’agence de Carole Bracq : c’est là, qu’elle va croiser la route de Sophie Douzal. Mais chassez le naturel, il revient au grand galop. En 2007, Marie Sauvage a envie d’autre chose. Son rêve : ouvrir un restaurant. Encouragée par ses proches, elle embarque un chef dans l’aventure et créé le « 154 », boulevard Haussmann, à deux pas du musée Jacquemart-André. « C’est le début de ma deuxième vie. » Pendant deux ans, elle va jongler entre com’ et cuisine, voyages de presse et coups de feu, événementiel et service en salle. La cadence est infernale. « Qui a deux maisons perd la raison », dit-on. Marie Sauvage va choisir : ce sera la restauration. En 2010, elle ouvre même une seconde adresse, Le Sauvage, rue Roy, où elle recrute un chef de L’Atelier de Joël Robuchon.
« Du boui-boui à la table étoilée »
Elle aime gérer, servir, recevoir comme chez elle, soulever le couvercle d’une cocotte ou concocter une carte avec un chef. Sauf qu’en 2016, tout s’arrête. Son mari est muté à Hong Kong. Changement de vie, de ville, d’heures, d’habitudes. Marie Sauvage compare ses quatre années en Asie à « une parenthèse ». Parce qu’elle ne travaille plus. Parce qu’elle se sent en décalage de tout et de tous. Sa seule porte de sortie : voyager. « Je n’étais qu’à 45 minutes des Philippines, une heure de Hanoï, trois heures de Shanghai ou Tokyo… » Alors elle va aller partout, goûter à tout, faire sa révolution de palais en passant « du boui-boui à la table étoilée ». Une formation à la cuisine asiatique sur le tas, sur le tard et en accéléré : c’est ce qu’elle a rapporté à son retour à Paris, en mai dernier. Une expérience en version originale qui s’ajoute à un parcours déjà hors des sentiers battus. Un bagage qui a fait la différence, lorsqu’elle a été approchée par le Plaza Athénée pour prendre Le Relais. Car elle était en compétition avec des profils bien « plus classiques » que le sien, pour diriger un restaurant. Mais à la tête du palace de l’avenue Montaigne, on a envie de changement. Si bien qu’entre deux confinements, Marie Sauvage a déjà bousculé quelques codes, avec la complicité du chef Philippe Marc. Le foie de veau n’est plus à la carte, un banc d’écailler a été installé, on peut grignoter au comptoir et, dès qu’il fait beau, une table pour deux - ou trois - est dressée à l’extérieur du Relais, face à la tour Eiffel. Ce qui reste de l’ère « Werner » ? Le tartare préparé devant le client, la découpe en salle, les « artichauts de Bretagne, pourpier et truffe noire » ou encore le millefeuille. Les habitués ont demandé à Marie Sauvage si elle allait chanter, comme le faisait son prédécesseur. La réponse de celle qui amorce sa « troisième vie » : « Chanter, non. Mais danser, oui ! »