« Chez mamie Henriette, on mangeait des petits pois de chez Félix Potin, mais dans de la porcelaine. » Mary Castel s’en souvient encore. Henriette, c’était son arrière-grand-mère. Mariée au patron d’une manufacture de vaisselle à Limoges, elle avait une boutique dédiée aux arts de la table, rue de Paradis, à Paris. Porcelaine, cristal, faïence, fallait faire gaffe quand on circulait dans les rayons… Seule fille parmi les arrières petits-enfants, Mary Castel se rappelle des échappées dans le « petit salon » d’Henriette, rempli de pièces de porcelaine : « On avait le droit d’y aller, si on avait été sage. » La récompense. Celle qui marque les esprits pour toujours. Il n’en demeure pas moins que, dans la famille, personne n’a repris la boutique. Pas envie. Pas la foi. En tout cas, sur le moment. Même Mary Castel, qui voulait devenir galeriste quand elle était gamine, va s’orienter vers des études de communication et intégrer de grosses agences de pub parisiennes. Mais chassez le naturel, il revient au grand galop ! En 2010, lorsque la marque alimentaire Labeyrie lui demande conseil pour monter en gamme son positionnement, le repas gastronomique des Français est inscrit au « patrimoine culturel immatériel de l’humanité » par l’Unesco. Les arts de la table en font partie. Pour Mary Castel, c’est le déclic. Dans les restaurants de grands chefs, elle s’amuse à « retourner les assiettes ». Pour voir leur provenance, leur matière première, leur nom, l’identité du fabricant. Elle se prend au jeu. Et ce d’autant qu’elle en a marre de la com’. Au bout de dix-huit ans en agence, elle a besoin d’air. A quarante ans, elle plaque tout et retourne à la fac. Direction Paris-Dauphine, pour un master de commerce en six mois. Son projet de fin de cursus ? Une société dédiée à la porcelaine. Son nom : Maison Fragile. Son logo : le portrait dessiné d’Henriette, dans un médaillon.
Elle a voté Hollande, aime la République et se dit « sensible aux attentats de 2015 »
« Je ne voulais pas me lancer seule dans l’aventure. » Mary Castel arrive à convaincre son père de prendre en main la gestion, puis son oncle s’empare du juridique et son frère l’épaule dans la direction artistique. A cela s’ajoute un financement participatif chez Kiss Kiss Bank Bank et Maison Fragile voit le jour. Nous sommes en avril 2017. « Le 7 mai, Emmanuel Macron est élu président de la République, deux jours après Guillaume Gomez m’appelle… » Le chef des cuisines de l’Elysée l’avait déjà rencontrée par le biais de Gaspard Gantzer, alors « monsieur com’ » de François Hollande. « Guillaume Gomez avait envie de travailler avec des artisans et des artistes », explique Mary Castel qui a voté Hollande, aime la République et se dit « sensible aux attentats de 2015 ». En outre, le chef de l’Elysée cherchait à réhabiliter le savoir-faire français. Or Maison Fragile crée à Paris et produit à Limoges. Du 100% « made in France », emballages compris. Le terrain était plus que favorable. Résultat : l’Elysée va être le premier client de Maison Fragile, avec une commande de deux modèles de coupelles en porcelaine fine et incrustation or mat, dont les dessins, signés Safia Ouares, représentent « la nature au printemps » et « les racines du monde ». Suivront des partenariats avec Colette, le Bon Marché – où Maison Fragile a un corner -, le chef étoilé Alain Passard ou encore 1 200 pièces pour l’hôtel Royal Champagne à Champillon. Parce que Mary Castel sait marier le soin et la minutie des quinze « artisans experts », nécessaires pour faire sa vaisselle, aux imaginaires de la photographe Sonia Sieff, du designer Etienne Bardelli ou de l’illustrateur Jean Michel Tixier. Plus audacieuse encore : elle a donné carte blanche à l’artiste Amélie Barnathan pour des assiettes à spaghettis. De drôles de « plats de nouilles » où d’aucuns y voient un cœur, quand d’autres y découvrent deux yeux inquisiteurs, qui observent le mangeur.
« Dans Fragile, il y a Agile »
La suite ? Des projets à la pelle. Car, durant le confinement, Mary Castel n’a pas chômé. Avec un ancien copain de lycée, elle a appris à faire du miel. D’ailleurs les pots sont près, « il ne manque plus que les étiquettes ». Elle prépare aussi une collab’ avec la designer Ionna Vautrin, un concours avec de jeunes pousses du design et une collection d’assiettes avec le restaurant de l’association Le Reflet, dont l’équipe se compose de jeunes adultes trisomiques. « Je suis proche de Flore Lelièvre, la fondatrice du Reflet, car ma petite sœur était trisomique », confie Mary Castel, qui reverse les bénéfices des ventes de ses coupelles « Elysée » à l’association. La crise, la Covid, l’absence de touristes en France… ce sont les nouveaux contours d’une société dans laquelle il faut continuer d’avancer. Mary Castel en est consciente. Elle poursuit sa route, ne change en rien ses convictions, « car dans Fragile, il y a Agile ».