L’invitation est arrivée durant le confinement : « Nous aimerions avoir votre regard sur VITE. » C’est quoi ça, VITE. C’est de l’italien. Et ça veut dire : vies. Les vies de qui ? De celles et ceux qui cohabitent, chaque jour, avec des luminaires de la maison Foscarini. VITE, c’est une campagne de pub diront les uns, de com’ diront d’autres. Peu importe. L’intérêt de l’exercice est de voir à quel point les marques ont besoin, comme les politiques, de renouer avec la « vraie vie », pour attirer, fidéliser, rassurer sur un contenu, se rassurer aussi sur la justesse et la pertinence des messages véhiculés.
Un ton et un regard sur la réalité du moment
L’esprit de VITE fait écho à celui d’1 Epok. Parce que la dynamique première de la campagne menée par Foscarini consiste à « aller vers… ». Ce qui guide le contenu d’1 Epok, depuis sa création en 2008. Ce qui a aussi inspiré la série de portraits Etre(s) Singulier(s) - exposée cinq fois -, dont le principe consiste à aller vers des personnalités, connues ou pas, dont le parcours et le discours sortent des sentiers battus. Avec comme mode opératoire : interview et photo, sans maquilleur, ni coiffeur, ni lumière artificielle. Tout est fait dans l’instant. Sur le tas. Dans la rue, une maison, un studio, un jardin, un cimetière… ça dépend du lieu de rendez-vous donné par la personne sollicitée. L’objectif : poser un ton et un regard les plus fidèles possibles à la réalité du moment. C’est exactement ça que Carlo Urbinati, le président de Foscarini a voulu faire. Donner de la chair à ses objets. Les incarner. Les projeter dans de vraies vies, chez de vrais utilisateurs. Ce qu’1 Epok a réalisé aussi, en 2018, dans le premier numéro de sa version papier, en confiant différents appareils Dyson à un coiffeur, un artiste, un ébéniste, un « marchand de tapis » accompagné d’un trio de Shih Tzu… Question : comment s’approprient-ils un aspiro, un ventilo, un sèche-cheveux ou une lampe ? Réponse : comme ils le feraient avec un animal domestique. L’objet devient compagnon de route. D’aucuns y voient jusqu’à un prolongement d’eux-mêmes. « Nous approprier un bien ou un objet nous donne le sentiment d’exercer un pouvoir sur les choses et que ces choses gardent la marque de ce que nous sommes », écrit le psychiatre Alberto Eiguer dans L’inconscient de la maison (éditions Dunod).
Draps froissés, cheveux pas coiffés, jouets pas si bien rangés…
« Dans le projet VITE, les lampes ne sont pas les protagonistes. L’objectif de l’appareil photo est fixé sur les gens. Ils sont au centre de l’histoire », confie Carlo Urbinati. D’ailleurs, ce sont les utilisateurs qui choisissent les luminaires avec lesquels ils veulent vivre. Et le casting ? Le patron de Foscarini est perplexe vis-à-vis du terme « casting ». Il parle plutôt de « bouche à oreille » et des « amis d’amis », pour trouver celles et ceux qui ont accepté d’accueillir le photographe Gianluca Vassallo et l’écrivain Flavio Soriga. Un duo pour unir du texte aux images – photo et vidéo -. Un duo reçu dans dix-sept domiciles, à Copenhague, Naples, Venise, New York et Shanghai. Le résultat ? Vassallo & Soriga ne sont pas tombés dans le piège du lissé, policé et autre BCBG – beau cul, belle gueule -. Leur travail montre et raconte la table de petit déjeuner des uns, la chambre d’une autre, les draps froissés, les cheveux pas coiffés, les jouets pas si bien rangés, le citron mangé avec les doigts… Alors on y croit.
Aux antipodes de l’aseptisé
Pour Carlo Urbinati, VITE tombe à pic. « La période de confinement, qui vient de se terminer, nous a permis de comprendre l’importance de pouvoir créer, dans nos intérieurs, une ambiance accueillante et qui nous reflète », explique-t-il. Une ambiance aux antipodes de l’aseptisé et du mobilier copié-collé d’un appartement à un autre. Dans la campagne VITE, les objets griffés Foscarini sont relégués au second plan. Même s’ils en disent long sur les habitants, ils s’effacent pour leur laisser la place. Un parti pris, en termes de pub et de com’, qui a déjà été exploré par des banques, des enseignes d’hypermarchés, des marques d’alcool… en mettant en scène, de façon plus ou moins réussie, des conseillers bancaires, bouchers, charcutiers, barmen… sur leur lieu de travail. La recette n’est pas nouvelle. Le storytelling a fait ses preuves. La différence aujourd’hui tient sans doute au pouvoir de persuasion. A la capacité de flirter avec la réalité et de la montrer sans fard, sans filtre, sans retouche. Une façon, peut-être, de donner un coup de vieux aux influenceurs, « tendanceurs », « posteurs » et imposteurs des réseaux sociaux. Une façon, en tout cas, de mêler qualité et créativité dans un « vrai » contenu.