Série Instantanés, portraits de photographes avec autoportraits / épisode 6 .
Pour voir & revoir l’épisode 5 : c’est ici.
« L’entrée des artistes. » C’est le message inscrit sur le paillasson posé devant la porte de son appartement parisien. Pourtant, rien ne prédestinait Benjamin Didier à faire de la ruée vers l’art, un mode de vie. Naissance à Neuilly, jeunesse à Chatou, école au Vésinet, une pension bien-pensante du côté de Pontoise… l’ado Didier n’avait rien d’un rebelle. Même s’il reconnaît qu’il n’était « pas bon » à l’école et que les seuls prix qu’il a décrochés étaient « en poterie et en arts plastiques ». La photo ? Ce n’est pas venu tout de suite. Et pour cause : « Ma mère me photographiait tout le temps. Je ne pouvais plus me voir en photo ! » Certes, il lorgnait sur les appareils et objectifs de son père, « mais je voyais d’abord ça comme un jeu ». Durant ses années de pension, il participe tout de même à l’atelier photo. Mais était-ce par passion ou par envie d’évasion ? Ce n’est plus très clair… « Quand j’ai eu mon bac, je ne percevais pas la photo comme un métier », confie-t-il en buvant un café. Alors il va s’inscrire en droit à Nanterre. Changement radical de déco et de décor avec les Yvelines et le carrefour Bac-Saint-Germain, où sa famille s’est ensuite installée. « Je suis allé jusqu’à l’examen du barreau. » Il a eu l’écrit, mais pas l’oral : « C’était le signe qu’il fallait que je fasse autre chose. » Il a pourtant été stagiaire de l’avocat de Georgina Dufoix, « mais je m’endormais dans le prétoire et la robe, l’uniforme, je ne pouvais pas ».
« Je suis devenu photographe comme on fait un coming out »
A l’orée des années 2000, le garçon se cherche. « Le jour de mes 20 ans, j’étais très malheureux », confie-t-il. Parce que mal dans ses baskets, à sa place nulle part. Pour s’occuper, il vend des costumes Dior chez Madelios, puis au Bon Marché. Mais il a du mal à faire la promo de vêtements qu’il n’aimerait pas porter… « Il fallait que j’aille vers des métiers plus créatifs. » Il intègre alors une agence de communication. On lui colle l’étiquette : « Gestion de projets. » Il n’en comprend pas l’intitulé et c’est à cette période qu’il se met sérieusement à faire de la photo. A 28 ans, il s’achète un compact numérique Sony et, en 2004, pour ses 30 ans, ses parents lui offrent son premier reflex numérique : « Un Nikon D70, avec un 50… sinon rien ! » Il devient le photographe « officiel » de l’agence de com’ où il bosse. Par un concours de circonstance, il va même réaliser sa première photo pour une campagne de pub, en shootant un robot ménager Kenwood. « C’était le 18 mars 2005 », dit-il en exhumant le cromalin. En 2006, il quitte l’agence, s’inscrit dans une école de photo, fait une escale à l’ANPE, où on lui dit : « Vous voulez devenir photographe ?! C’est un suicide social… » Ça en refroidirait certains. Lui, ça le motive : « Je suis devenu photographe comme on fait un coming out. » Assez vite, les premières commandes tombent, dont des portraits pour Madame Figaro. Parallèlement, pour poursuivre son apprentissage, il assiste le photographe Alexandre Bailhache, dans ses reportages pour Maison Française et The World of Interiors. « A l’époque, ça me met en confiance », raconte-t-il. Puis, en 2010, au retour d’un voyage de deux mois en Argentine, il le sait, il le sent : « Je tiens ma première expo. »
« C’est l’endurance qui mène là où l’on doit être »
Il va mettre près de quatre ans à « sortir les photos d’Argentine ». La possibilité de les exposer fin 2014 à l’Espace Drouot est l’occasion (enfin) de les tirer. « Pour moi, c’était comme se produire sur scène. Une sorte de mise à nu, avec les risques que ça implique… » En juillet 2014, il rencontre sa future femme, Alice – également photographe -. Il l’épouse en mai 2015 et le fait de ne plus être seul dans son aventure, « ça a développé ma créativité ». Peu à peu, il délaisse la commande pour privilégier le travail personnel. Il « aiguise » son regard, comme il dit, aux côtés de photographes tels Oliver Roche ou encore Julien Drach. « Je ne renie pas la photo d’hier, mais j’utilise des outils d’aujourd’hui », explique Benjamin Didier, qui réalise tous les tirages de ce qu’il shoote. Résultat : le duplex où il vit, près du Trocadéro – quand il n’est pas en Grèce -, est rempli de boîtes, papiers, clichés accrochés sur tous les murs… « et la cave est pleine ». Auteur désormais de toutes les pochettes des albums du groupe de musique électronique Masomenos, emmené par le duo Joan Costes et Adrien de Maublanc, Benjamin Didier met actuellement un point final à un projet intitulé « La forme de l’eau ». Démarré en Grèce, « un jour de pluie », ce travail consiste à « amener la photo au volume ». Une installation de plusieurs pièces est prévue dans les mois qui viennent. Il paraît que le processus créé à l’occasion de cette « expérimentation » est unique au monde. L’artiste est impatient de révéler cela au public, même s’il en est conscient, aujourd’hui : « C’est l’endurance qui mène là où l’on doit être. »