Les Aubrais, Vierzon, Châteauroux… Ce sont les gares où s’arrête l’Intercités qui relie Paris à Limoges. Départ à 6h36 d’Austerlitz. Sinon, c’est pas drôle. La météo annonce l’arrivée d’une tempête. Elle s’appelle Miguel. L’Ouest et la région Centre sont en vigilance… On verra bien. Il faut un peu plus de 3 heures 30 de train ex-Corail pour rallier Limoges à la capitale. Pourquoi un tel périple ? Quelle idée d’aller traîner du côté du Limousin ? L’équipe d’1 Epok a été conviée par la maison J.M. Weston à venir visiter ses ateliers. Une manufacture installée à Limoges depuis les années 1970, où quelque 280 paires de chaussures sont fabriquées chaque jour. A ce chiffre s’ajoute les réparations : plus de 10 000 paires de Weston sont démontées, puis remontées chaque année. Car il en faut beaucoup pour qu’un mocassin, une bottine Cambre ou des Chasse ne puissent pas être pansés, soignés, réparés, ressemelés.
Talonnage, montage et « bichonnage »
Près de 200 personnes travaillent dans la manufacture limougeaude. Une grosse PME. Un concentré de savoir-faire surtout, estampillé Entreprise du patrimoine vivant, car la fabrication de chaque soulier est réalisée à la main, à l’issue de plus de 150 étapes différentes. Coupe, découpe de la peau, couture, piqûre de la tige, semelage – avec « le » cuir Bastin -, talonnage, montage, finitions - jusqu’au bout en fer vissé sur la semelle -… on suit le parcours, tel un fil d’Ariane. Sans oublier l’étape « bichonnage » pour chaque chaussure, ni l’étonnante « salle des mariages » : c’est dans cette petite pièce chaude et humide, que l’on détend le cuir avant de le plaquer sur une forme. Une forme parmi les quelque 40 000 suspendues dans une partie des ateliers.
« Petits points », emporte-pièce et cambrion en peuplier
Née en 1891, la maison Weston porte le nom d’une ville du Massachussetts où le fils du fondateur, Eugène Blanchard, s’est rendu pour étudier les techniques de production de chaussures. A l’époque, en France, un nom anglo-saxon dans le secteur du soulier était un gage de qualité, d’avant-garde. Quant aux initiales J.M., personne n’a vraiment d’explication. Sans doute fallait-il incarner ce Weston, en lui inventant un vrai faux double prénom… Près de 130 ans plus tard, l’art du détail est toujours d’actualité dans les ateliers de Limoges. De la piqûre « petits points » - car plus solide – à la coupe au cutter ou découpe à l’emporte-pièce, en passant par le cambrion en peuplier – sans lui, l’usager perdrait l’équilibre -, pas de place pour le hasard. Mais pour l’imagination, si : les commandes spéciales en témoignent. Parmi celles-ci quelques caprices colorés ou autres requêtes fantasques d’artistes ou de VIP en tous genres, mais aussi les bottes de la Garde républicaine. Celle-ci se fournit chez Weston depuis 1975. Un bail.
Baskets, vague vegan et site de rencontres
A observer les mains, gestes et machines s’activer, on se croit parti loin. Hors du temps. Hors de tout. Pourtant chez Weston, on scrute les changements de comportement, on écoute les attentes des uns, les envies des autres. Le succès des baskets, la vague vegan, le développement durable sont autant de thèmes sur lesquels la maison réfléchit. La preuve : la mise en boîte des paires de chaussures se fait désormais dans des emballages en carton recyclé. Quant à la notion de circuit court, ça fait longtemps que la maison pratique : depuis 1981, elle possède sa propre tannerie végétale de cuir à semelle, la Tannerie Bastin, à 20 minutes de route seulement de la manufacture Weston. A propos de route… le retour vers Paris a été homérique. L’Intercités avait d’abord une heure de retard, puis deux : « C’est la faute aux arbres tombés sur la voie ! » Maudit Miguel. Une fois dans le compartiment – oui, un compartiment, comme avant…-, l’équipe d’1 Epok s’est fait de nouveaux amis : Luc de Leyritz, en master de philo à la Sorbonne, Cyril Arvengas, patron de l’enseigne de sur-mesure masculin Gabriel, et Sitor Senghor, ex-banquier devenu curateur dans le secteur de l’art contemporain. Un vrai site de rencontres, l’Intercités ! Finalement, on devrait aller à Limoges plus souvent.