Gamin, Nicolas Roche avait toujours « le nez en l’air ». « Je me voyais chef de gare ou pilote de ligne. » L’architecture, c’est venu avant l’adolescence. « J’étais fasciné par les ruines. Tout ce qui était bâti m’interpelait. J’avais envie de décider des choses et les faire réaliser par d’autres. Et puis le seul architecte qu’il y avait dans ma famille était un oncle, un dandy, un extravagant… » Son bac en poche, il s’inscrit donc à UP1 Paris-Villemin, aujourd’hui rebaptisée École d’architecture Paris-Val de Seine. « On entrait sur dossier. Le concours, l’écrémage, se faisait en fin de première année. » Puis, il enchaîne six ans d’études, avec un objectif à sa sortie de l’école d’archi : ne pas travailler chez Roche Bobois, l’entreprise familiale, « par esprit de contradiction ». Alors il bosse en agences, accepte tous les profils de chantiers, s’associe une première fois avec deux camarades de promo, puis une seconde fois, à l’orée des années 1990, en créant l’agence Jeux de plans. Boutiques, logements, bâtiments, maisons de retraite, restaurants de collectivité… il s’ouvre à tout. Même à quelques projets pour Roche Bobois.
« J’avais envie de changer… d’ennuis »
Au milieu des années 2000, il se lasse. « Ça marchait bien. On travaillait beaucoup… surtout le dimanche », se souvient-il en souriant. Son agence compte alors vingt-cinq salariés. « Même si les clients étaient différents pour chaque chantier, les ennuis étaient les mêmes. J’avais envie de changer… d’ennuis. » Au même moment, « la génération des fondateurs de Roche Bobois s’en va ». On le sollicite pour superviser « l’aspect création » et le « développement produits » de la maison. « J’ai dit oui, sans savoir comment ça allait fonctionner. Sans aucun mode d’emploi. » Sa chance ? L’absence de direction marketing. D’emblée, il se retrouve à manœuvrer avec une grande liberté. Lorsqu’il récupère le titre de « directeur de collections », « tout repose sur mes propres analyses, mes ressentis, mes rencontres ». Aussi, lorsqu’il souhaite rabaisser l’âge moyen des designers sollicités par Roche Bobois, on lui donne carte blanche.
« On est allé boire un café. On a discuté. Je l’ai fait travailler… »
Sans carnet d’adresses rempli de talents prometteurs à son arrivée chez Roche Bobois, il va donc « à la pêche ». Il écoute des journalistes, fréquente les écoles de design, participe aux jurys de diplômes, à ceux des appels à projets du VIA… « Le bruit s’est vite répandu qu’il y avait une oreille ouverte chez Roche Bobois pour les jeunes designers ». Si bien qu’aujourd’hui, d’aucuns n’hésitent pas à l’approcher en direct. A l’instar de Stephen Burks, qui a profité d’une édition des Designer’s Days pour se présenter. « On est allé boire un café. On a discuté. Je l’ai fait travailler par la suite », raconte Nicolas Roche. Dans la même veine, il impulse en 2009 la mise en place du Roche Bobois design award. Ce concours itinérant à travers le monde vise à dénicher des talents locaux encore méconnus. Un appel d’air qui dynamise les collections de la maison. Une prise de risque aussi. Nicolas Roche mise sur ces jeunes pousses et d'autres encore comme on parie sur une équipe de foot. Résultat : parfois, il perd. Certaines créations ne voient pas le jour. Les prototypes se font alors pièces uniques et il en héberge quelques-unes chez lui : « J’ai souvent du mal à me séparer de projets que l’on a portés, soutenus, mis en avant. Alors je fais cimetière… »