Jeux de Vilain / épisode 2
Fan de foot -« quand j’étais petit, je voulais être… footballeur ! J’avais même tenté d’intégrer une section sport-études… »-, l’écrivain Philippe Vilain a croisé la route de la star du PSG dans un resto de Saint-Germain-des-Prés. Pour 1 Epok, il raconte la rencontre :
« Il y a dans mon quartier, rue Dauphine, un bar-restaurant qui ne paie pas de mine, dont le nom rappelle un film d’Almodovar, et qui se colore en bleu ciel les soirs où parade l’Argentine de Messi : Le Volver. Des joueurs du PSG en ont fait leur cantine. Des photos et des maillots dédicacés ornent les murs pour que l’Azado ait ses images, et le San Felipe sa mémoire. J’aime y aller les soirs où les aficionados entonnent leur amour du ballon rond jusqu’au bout de la nuit, où les argentines, visage grimé, envahissent la rue pour chanter et improviser un tango pour le roi Diego, sans doute parce que je ne suis jamais allé à Buenos Aires et qu’alors Paris me semble une fête.
Je ne reconnais pas le géant vêtu de noir qui me barre l’entrée
Il est un peu plus de vingt heures ce 11 mars, et la porte du Volver n’ouvre pas mais le restaurant est illuminé. Des gens rient à l’intérieur, près du bar. Je ne comprends pas tout de suite que le restaurant est privatisé, et je ne reconnais pas, de l’autre côté de la porte vitrée, Verratti, Matuidi, Cavani, encore moins le géant vêtu de noir qui me barre l’entrée et enclenche la porte, Zlatan en personne. Je suis tellement surpris que je le regarde sortir sans dire un mot, et c’est à peine si je réagis lorsqu’un passant hurle, d’une voix implorante : « Zlataaaaaan, s’il te plait, faaaaaais une photo avec moi ! ». Zlatan se retourne. Son visage impassible, froid, s’anime aussitôt d’un sourire enfantin. Sans réfléchir, moi qui suis d’un naturel timide, je lui demande à mon tour la permission de faire un selfie, alors il prend spontanément une pose amicale, sourire à l’appui, épaule contre épaule.
Je nous excentre et je nous rate
C’est la première fois que je fais un selfie, et c’est un euphémisme de dire que je n’ai pas le talent de Paul Strand : comme je suis concentré pour cibler nos visages sur l’écran, je nous excentre et je nous rate. Presque embarrassé pour moi en constatant le résultat, Zlatan me dit : « So, you want to take another picture ? ». Remake. Zlatan s’exécute. La seconde est un peu moins catastrophique. Zlatan sourit tandis que je parais crispé sur l’image ; pour un peu, l’on pourrait même croire, que Zlatan est plus content que moi de poser sur la photo. Enfin, je lui dis quelques banalités dans un anglais d’aéroport, auxquelles il répond dans un anglais de politesse. Son regard est doux, son expression franche, et son visage n’a pas l’arrogance dont il se sert, comme un bouclier ou une arme, face aux journalistes. Une tape amicale sur mon bras, et le voici qui s’engouffre dans la voiture noire qui stationne sur le trottoir. Nous sommes au milieu de la rue Dauphine. Je n’avais pas vu qu’un bus, derrière nous, s’est arrêté. Comme le temps. On me racontera plus tard que le chauffeur, ébahi, a stoppé net son bus pour faire une photo depuis son poste. Zlatan a stoppé la circulation de la rue Dauphine avant que sa voiture noire ne file dans la nuit lumineuse.
Je me suis souvenu de mes quinze ans
Juste après, je me suis senti un peu ridicule, à mon âge, d’avoir voulu faire cette photo. Et puis, je me suis souvenu des après-midis où mon père m’emmenait au camp des loges, à Saint-Germain en Laye, pour voir les entrainements du PSG et mon idole, Safet Susic. J’avais quinze ans et j’aurais tout donné alors pour devenir un joueur de football. Grâce à Zlatan, je me suis souvenu de mes quinze ans. » A suivre.