« J’avais six ans, se souvient-elle. Je portais un uniforme gris. Mon père écoutait du jazz et Georges Brassens ». Là, c’est la révélation. Isabelle Mayereau parle de « choc émotionnel ». La guitare classique l’envoûte. Quant aux textes du natif de Sète, « je ne comprenais pas tous les mots, mais j’étais fascinée ». Si bien qu’elle veut s'initier. Elle se fabrique une guitare de bric et de broc. Ce n’est qu’à douze ans que ses parents lui en offrent une vraie. « J’ai appris à en jouer avec un professeur d’origine espagnole, dont l’eau de toilette était très sucrée ». Elle rit. Rires à nouveau à l’évocation de sa première performance : « j’ai interprété L’eau vive, qui n’a qu’un seul accord ». Plus tard, ce sera Retiens la nuit…
Des errances de Diane Arbus à un type « sans défaut apparent »
Elle égraine des moments de vie comme on se replonge dans une collection de cartes postales. A chaque image, une anecdote. Avec Mayereau, c’est plutôt « à chaque souvenir, une scène ». D’ailleurs ses textes de chansons sont ciselés comme des scénarios. Ils s’écoulent, on voit les séquences. Comme une succession de bouts d’essai qui évoquent aussi bien les errances de Diane Arbus qu’une paire d’embauchoirs de chez Weston, en passant par le hash, le suicide d’un proche, une Chevrolet Impala, un type « sans défaut apparent » qui étouffe une chauve-souris « dans un grand chapeau noir »… Son univers fourmille d’images, de personnages, de poésie, de fantaisie, où humeurs et humour font bon ménage. Un drôle de mélange réparti en une dizaine d’albums sortis entre 1977 et 2010. Ces disques font aujourd’hui l’objet d’un coffret intitulé Parcours, qui réunit l’intégrale de Mayereau en cinq CD (en avril dans les bacs).
« On fantasmait sur ma voix… »
« On me trouvait sévère avec mes lunettes. C’est vrai que ça tranchait beaucoup avec les autres artistes de l’époque, reconnaît-elle. Mais on ne m’a jamais demandé de changer, de me changer. On fantasmait sur ma voix… » Curieuse de tout, voyageuse aussi, elle aime autant raconter son escapade aux Etats-Unis « à vingt ans avec des amis », que le souvenir de sa grand-mère écoutant la Callas en fumant une cigarette, sa soirée avec un prof au comptoir du Harry’s bar à parler de Tristan Corbière ou encore ses fugues d’enfant sous un tilleul les jours de pluie : « pour moi, c’était comme la mousson ».
« C’était mieux avant… pour le son ! »
Elle compare son œil à « une caméra ». Une caméra toujours « en veille ». Car même si Mayereau a gardé ses vinyles et son mange-disque, elle « chine » sur Apple Music, aime Christine and the Queens, Stromae, Vianney, les Villagers. « Je ne suis pas nostalgique, confie-t-elle. Je dis juste que c’était mieux avant… pour le son ! » Pour la spontanéité aussi, un peu. Que penser, en effet, de la signature organisée par les éditions Gallimard du dernier livre de Patti Smith, M Train ? Le 5 avril, pour décrocher une dédicace de la rock star, il faudra prendre… un ticket. On est loin du CBGB. Loin aussi d’Yves Simon qui tapote sur la vitre de la Coccinelle rouge de Mayereau, rue de Buci, en 1977 et lui dit : « j’aime beaucoup ce que vous faites ».