Dans la tête de Descott / 8ème et dernier épisode
Les deux écrivains se connaissaient à peine. Ils ne s’étaient que croisés au salon du livre de Vannes. Ils se sont revus à la fin de l’été dernier, au café Tournon, à deux pas du Sénat. C’est vrai, je n’y suis pas pour rien : Philippe Vilain est un ami de longue date. Quant à Régis Descott, le peu qu’il m’avait dit alors de son livre en préparation et de l’exercice de style qui lui était associé, m’avait donné l’idée de cette rencontre. Car Vilain s’intéresse de près aux techniques d’écriture et à leurs évolutions. D’ailleurs, le 6 avril prochain, il publie chez Grasset un essai intitulé La littérature sans idéal. L’occasion pour lui de poser un regard un brin désenchanté sur « les écrits consensuels et dociles » auxquels nous sommes de plus en plus confrontés en librairie. Je pensais donc qu’il serait intéressé par le travail de Descott. Car pour son Vacher l’Eventreur (Grasset), « en vente libre » ce 16 mars, le romancier n’a rien écrit, mais compilé. Il n’a interviewé personne, mais compulsé et épluché une pléiade d’archives. Vilain a lu l’ovni de Descott. Les épreuves du bouquin l'ont bluffé et inspiré.
« Entre roman de fait divers classique et objet théorique »
« Régis Descott reconnaît volontiers n’avoir écrit aucune ligne de son texte, aucun mot même, et plus encore, pour s’épargner le labeur de retranscrire les articles sélectionnés, il avoue en avoir dicté la lecture sur le logiciel Siri, chez lui, en consultant des articles sur Internet depuis son MacBook, sans s’être jamais rendu dans une bibliothèque ni s’être confronté physiquement aux archives », détaille Vilain dans une chronique intitulée La littérature conceptuelle de Régis Descott. Vilain parle de « texte conceptuel », qu’il baptise de « Wikinovel ». Car dans Vacher l’Eventreur, tous les codes d’écriture sont pulvérisés. « Ce texte peut se lire à la fois comme un roman de fait divers classique et comme un objet théorique, expérimental, exemplaire de la tradition du nouveau, en ce que son procédé, hérité tout à la fois de la récole proustienne, du collage surréaliste de Max Ernst et du recyclage propre à la littérature postmoderne, renouvelle, en lui donnant une forme fragmentée et polyphonique ultra-contemporaine », reprend Vilain.
L’acte de naissance d’un « ready made littéraire » ?
Vilain et Descott se sont donc vus au Tournon, puis revus au Rouquet. Pour échanger, dialoguer, déambuler aussi dans les couloirs et les archives de la maison Grasset, qui les publie tous les deux. Hasard du calendrier, Vacher l’Eventreur illustre une partie de la démonstration soutenue dans La littérature sans idéal. Les deux auteurs devaient se croiser. Cette Epok a servi de site de rencontre et les librairies accueillent leurs deux ouvrages en cette amorce de printemps. Le mot de la fin à Vilain : « la création de Descott pousse à son extrême la poétique de l’œuvre ouverte, définie par Umberto Ecco, en faisant du lecteur un auteur à part entière, capable de fabriquer lui-même une histoire à partir d’un travail de documentation minimal ». Est-ce l’acte de naissance d’un « ready made littéraire » ? Vilain s’interroge. Le débat est ouvert.