En général, il reste discret sur son passé. Il parle plus volontiers de BD, hard rock, grunge, Dirty Harry, de ses virées dans Paris sur son skate. C’est par hasard, un jour où j’ai pris un Coca au distributeur du lycée Albert de Mun, rue Jean-Pierre Timbaud, que j’en ai su un peu plus sur David Leonarczyk. Car il n’a pas toujours été surveillant de lycée. Né dans le XVe arrondissement, il a grandi sur la butte Montmartre et passé son adolescence à Sarcelles. Là, il va préférer la musique à l’école. Si bien qu’il endosse la panoplie d’auteur-interprète au sein d’un groupe de rock. Pour gagner sa vie, il décroche des petits jobs dans des studios d’enregistrement. A 22 ans, il s’impatiente. La carrière de rock star, à laquelle il rêve depuis tout petit, ne se profile pas. Loin de là. Ce fils de militaire - « mon père a été marin sur le Charles de Gaulle » - décide alors de s’engager. Il veut faire de l’armée sa deuxième famille. « Je suis parti trente mois en Forêt-Noire, près de Baden-Baden. Il y avait des sangliers. J’ai même vu des renards », raconte-t-il dans un café face à la station de métro Rome. « Mon binôme mesurait 1m60, se souvient-il en souriant. Là, j’ai appris que chacun est indispensable à l’autre et que sans copains, on ne va pas bien loin. Un peu comme au rugby. »
Casque bleu « avec des balles à blanc »
De retour en France, il casse son contrat d’intermittent. L’armée lui propose de partir cinq mois à Ploce, puis Sarajevo. Nous sommes en 1995 : c’est la guerre en Bosnie. « Je voulais voir des choses », dit-il. Alors, il part. Il devient Casque bleu « avec des balles à blanc ». Il raconte Sniper Alley, le véhicule blindé « avec un chargeur pour quatre », son job de magasinier à l’aéroport : « A l’armée, quand tu as les clés du frigo, t’es le roi. » Brigadier chef, il avait alors une dizaine de containers à gérer : un vrai trésor. Il retournera quatre mois encore sur la zone de conflit. « J’ai gardé ma tenue de combat et celle d’apparat », confie-t-il en terminant son café. Et le casque bleu ? « Je l’ai rendu. Pour moi, il incarnait la bonne conscience des politiques. En plus, j’ai commencé à perdre mes cheveux à cause de lui ! » Puis, il évoque ses quatre médailles, dont celle de sa « prépa commando » : « Cette prépa a duré trois semaines durant lesquelles on ne dort quasiment pas. » Le plus dur ? « La séance de torture : on a la tête enfouie sous une toile de jute sur laquelle on verse de l’eau. On a l’impression d’étouffer. » Il se rappelle aussi avoir fait partie des trois finalistes au test de résistance dans une eau à 5 degrés. Réserviste jusqu’à ses 40 ans et soumis au devoir de réserve durant vingt ans après la guerre en Bosnie, il est désormais libéré de tout ça. Alors il parle. Il s’épanche. Sur sa reconstruction après avoir quitté l’armée, à son retour de Sarajevo. S’il a d’abord travaillé dans l’organisation de spectacles musicaux, il a aussi été « adjoint aux fruits et légumes » dans une grande surface - « je suis incollable sur les champignons » -, a tenu un vidéo club, puis il est devenu surveillant de lycée. Un surveillant qui avoue : « Je préfère dialoguer que punir. »