Au départ, il pensait que c’était sa « big boss », la créatrice britannique Margaret Howell, que nous voulions mettre à l’honneur dans cette galerie de portraits. Quand Naoto Nozaki a compris que c’était lui, il s’est dit touché. Il a aimé l’idée que l’on entre dans les coulisses d’une maison qui habille Jack Nicholson, depuis Shining : la veste en velours côtelé rouge qu’il porte dans le film de Kubrick est griffée Howell… La mode, Nozaki s’y intéresse depuis l’adolescence. Epoque -formidable- où son père, importateur de matériel de construction au Japon, lui rapportait accessoires et écharpes en cachemire de ses voyages en Europe. Quant à la France, c’est par le biais de son cinéma des années 1960 et 1970 qu’il l’a découverte. « J’ai étudié la linguistique française dans une université de la région d’Osaka pour pouvoir regarder les films français sans sous-titre », confie-t-il. Son préféré : Le Feu follet de Louis Malle, qu’il a longtemps revu « tous les trois mois ». A 21 ans, il découvre le travail de Margaret Howell, déjà très implantée au Japon. D’emblée, il aime la sobriété des coupes -« qui rappellent celles des créateurs japonais »- et la sensualité des matières. « Je voulais travailler pour elle ». Il dépose un CV. Mais aucun poste n’est à pourvoir.
Un mémoire consacré à « l’analyse historique des adverbes français »
Il va devoir patienter quelques mois pour décrocher « un petit job de vendeur en extra dans la boutique d’Osaka ». Parallèlement, il ne perd pas de vue la France. Une première bourse d’étude, décrochée à l’université de Créteil, lui permet de poser ses bagages à Paris et plancher sur un mémoire consacré à « l’analyse historique des adverbes français ». Une fois sa Maîtrise en poche, retour au Japon. Mais, à peine rentré, il veut déjà repartir. Une deuxième bourse d’étude le ramène à Paris, où il croise la route du directeur anglais de la maison Howell. Son sort et celui de la styliste sont définitivement liés. Au moment où Nozaki termine son DEA à Paris 12, le responsable du corner Howell installé au Bon Marché est sur le départ : la place est pour lui. Nous sommes en 2001. Depuis, Margaret Howell a ouvert deux boutiques à Paris et Nozaki a gravi les échelons. Sa carte de visite, aussi épurée que la ligne de vêtements de la créatrice, le qualifie désormais de Finance and International Liaison. Dans son bureau, perché en mezzanine de la boutique de la rue Debelleyme, tout est rangé, classé, répertorié. Rien ne traîne, sauf son alto à l’abri dans un étui. Car la deuxième vie de Nozaki, c’est la musique : il fait partie de trois orchestres symphoniques. Une sorte de langage commun à la France et au Japon, où il a manipulé son premier violon à l’âge de 8 ans. Car il reconnaît avoir mis du temps à trouver ses marques à Paris et à se libérer de son « obsession à vouloir s’adapter ». Aujourd’hui, « chez moi, c’est en France », dit-il sans hésiter. Ce qui ne l’empêche pas de retourner deux à trois fois par an au Japon. Ce qu’il a rapporté de sa dernière escapade au pays du soleil levant : « un T-shirt Uniqlo, créé en collaboration avec le MoMa de New York ».