« J’ai intégré Polytechnique pour devenir chanteur de rock ». C’était en 1984. « Quand on est bon en maths, c’est la voie naturelle », explique Bernard Tanguy, alors premier de la classe, « sauf en prépa à Louis le Grand ». Mais le choix de l’X a également été motivé « parce que cette école permet d’être payé pendant ses études et laisse ainsi du temps pour s’adonner à sa passion ». Lui, c’était la musique : « dans les années 1970, j’écoutais Yes, Bowie, Ferré, Gainsbourg ». Une semaine après son arrivée sur le campus de Palaiseau, il a créé le club rock de l’école, puis monté le groupe Scénario. « On enchaînait les concerts dans les soirées étudiantes et les tremplins rock ». A l’orée des années 1990, alors qu’il fait son école d’application à Télécom Paris, il s’oriente vers la pop africaine et c’est le carton : en 1991, son groupe est n°1… au Sénégal ! Epoque formidable. « Je n’aime pas rentrer dans les cases, dit-il. J’ai une préférence pour l’artisanat ». Mais ce goût de la liberté a un prix. Et Tanguy reconnaît s’être acheté son « indépendance financière » après avoir dirigé durant dix ans une société de conseil en télécommunications : « on a surfé sur la dérégulation des télécoms. On est entré en bourse en 2000. J’ai revendu en 2002 ». Depuis, il fait « de l’artistique ». Avec un premier court métrage à 40 ans. « Confronté à des jeunes de 25 ans, j’étais hors cadre ». Conséquence : il s’autofinance, créé une maison de production -Rézina Productions-, tente le long métrage. Son premier film Parenthèse nait de l’un de ses « courts ». « Je l’ai proposé à de grosses boîtes de prod’. Elles étaient partantes, mais avec des comédiens bankables. J’ai refusé, sachant très bien que sans star je n’aurais ni chaînes de télévision, ni subventions ». Le cavalier reste solitaire. Un montage financier à partir de fonds propres, d’investisseurs privés, d’un crédit d’impôt et autre plateforme de crowdfunding, lui permet de réunir les 600 000 euros nécessaires. Parenthèse est attendu dans une cinquantaine de salles au printemps 2016. Un tour de force.
« Je ne me plie pas à l’ordre établi »
Entre deux cigarettes, Tanguy confie : « je ne me plie pas à l’ordre établi ». Alors il rame un peu plus que les autres. Mais ça lui permet de choisir Stupeflip, son groupe préféré, pour la bande originale de son film. Le leader du groupe -« qui chante avec une cagoule sur la tête »-, lui a même donné envie de se remettre à la musique. Cet été, Tanguy est parti sur l’Ile de Ré, « où mon matos est entreposé », a rebranché le synthé et piqué les paroles qu’il avait écrites pour une chanteuse : « finalement, elle sera choriste sur ce titre. Je lui ferai une autre chanson plus tard…» Pour l’heure, dans son appartement proche du canal Saint-Martin, il a tendu un fond vert, car son fils Martin, 11 ans, s’essaie à la caméra. « S’il aime le cinéma, c’est côté coulisses et réalisation. Car il a été approché dans la rue pour faire partie du casting du Petit Nicolas et il a répondu que ça ne l’intéressait pas du tout ! » Chez les Tanguy, savoir dire « non », ça se transmet de père en fils.