Souvenez-vous de cette pochette de disque. Le "J'accuse" de Damien Saez. C’était en 2010. L’affiche de la tournée de ses concerts, calquée sur cette photo de Jean-Baptiste Mondino, avait été interdite dans le métro, sur les kiosques et les panneaux publicitaires Decaux ou encore Clear Channel. Motif : elle « (…) présente un caractère dégradant pour l'image de la femme dans la mesure où elle apparaît nue, et qui plus est dans un chariot de supermarché, donc comme une marchandise (…) ». Admettons. Sauf que les mêmes qui ont censuré se réunissent plusieurs fois par semaine pour choisir à notre place les couleurs, les odeurs, les saveurs, les objets que nous allons aimer demain, après-demain, acheter dans une semaine ou un mois… Lors d’une récente escapade en Belgique, j’ai échangé avec un pro du marketing dont le discours tenait face à un financier, mais dès que l’on secouait un peu trop le cocotier, toute la démonstration s’effondrait… Il pouvait parler chiffres, stat’, projections. Mais à la question : « pourquoi le choix du rose pour votre prochaine campagne de pub ? » « C’est la couleur qui est ressortie de nos nombreuses réunions ». « Ce sera une campagne uniquement pour la France ? » « Non. Ce message se destine à l’international ». « Pourtant on ne mange pas, on ne boit pas, on ne s’amuse pas, on ne vit pas de la même façon à Paris, New York, Amsterdam, Stockholm ou Berlin ? » Pas de réponse. A cet instant précis, j'ai eu l'impression d'être dans les coulisses de cette uniformisation qui incite à tourner en rond, penser pareil, imiter, s’imiter faute de choix et surtout d'idées. Une sémantique commune et vide de sens s’élabore, se peaufine un peu plus chaque jour à coup de « powerpoint » et de « slides » rédigés comme des slogans pour formater plus vite, copier-coller à l’infini. Epoque formidable ? Nous étions quatre journalistes invités en Belgique. Une ne pensait qu’à prêcher pour son canard, soi disant « indépendant », en espérant que le « marketeux » allait lui acheter des pages de pub. Une autre se contentait d’écouter sans broncher. Et le troisième m’a laissée perplexe. Durant le dîner, il a parlé sport, régime, fringues, luxe, fric et posé cette question « pour un champion » : « un marathon, ça a la même distance dans toutes les villes ? »… Atterrant. Déprimant. La troupe a proposé de poursuivre la soirée dans un bar. J’ai séché.