La crise inspire. Ceux qui n’ont jamais la parole, les laissés-pour-compte, deviennent des héros de films. Dans les années 1990, de l’autre côté de la Manche, les réalisateurs Ken Loach et Mike Leigh avaient ouvert une voie. Les frères Dardenne ont suivi. Aujourd’hui, la France emboîte le pas. Pierre Jolivet et Stéphane Brizé en tête. Avec Jamais de la vie, le premier raconte le quotidien d’un ex ouvrier spécialisé devenu gardien de nuit dans un centre commercial de banlieue. Faute de mieux. Et ça finira mal. Très mal…. Quant à Brizé, dans La loi du marché, il demande à Vincent Lindon d’être le seul acteur « professionnel » d’une fable sociale, toujours sur fond de chômage, de centre commercial, de banlieue… Acte politique ? Faut-il désormais aller au ciné pour mieux comprendre comment on vit au-delà du périph’ ? Dans ce cas, organisons d’urgence des projections de ces longs métrages dans les salles de réunions des ministères et les amphis des grandes écoles. Au Festival de Cannes, Lindon vient de décrocher le prix d'interprétation masculine pour sa prestation. C’est vrai qu’il est bluffant entre entretien d’embauche absurde sur Skype, réunion syndicale stérile, demande de prêt à la banque pour acheter une bagnole d’occase et job de surveillant dans un hypermarché, où une salariée se flingue après avoir été chopée en train de piquer des bons de réduc’… La misère primée sur la Croisette, entre champagne, petits fours, fards, stars et talons aiguilles. Pendant ce temps, j’ai une pensée pour Jérôme Devienne, que j’ai interviewé voilà une quinzaine de jours pour le journal L’Hôtellerie Restauration. Un an après l'ouverture de son resto, près de Tours, il a dû mettre la clé sous la porte, faute de pouvoir payer ses échéances à cause d’un refus de découvert de 4 000 euros... Marié et père de deux enfants, il vit désormais du RSA et des colis de nourriture de la Croix-Rouge. Noir, c’est noir ? Sauf qu’ici, dans la vraie vie, l’un de ses confrères a agi, réagi sur le site du journal : « J'ouvre un restaurant gastronomique à Sablé sur Sarthe. Nous pouvons discuter si vous voulez. Envoyez-moi un message… ». Une lueur d’espoir dans notre époque si formidable.
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