Son sourire. C’est ce que j’ai vu d’elle en premier, lorsqu’elle a ouvert la porte de son appartement, caché dans une cour arborée près du Trocadéro, à Paris. « Je vis ici depuis 1971 ». Un bail, à l’heure où seul l’instant sert de repère... Mais rien de ça chez Françoise Alt. Elle assume tout : passé, présent, avenir. Car chaque épisode de sa vie en a construit un nouveau. A 16 ans, elle rencontre son mari « chez un voisin ». Il lui présente un ami photographe qui l’incite à démarrer une carrière de mannequin. A l’aube des années 1960, elle pousse la porte de chez Balenciaga, où elle surmonte l’épreuve de l’étoile défilante « les chevilles attachées avec une ficelle » : « j'ai réussi à marcher. J'ai été embauchée ». Suivront des maisons comme Lanvin, Ricci, Scherrer… « Ma mère voulait que je fasse de la couture, dit-elle. J'en ai fait, mais sans fil ni aiguille ». Puis, dans sa salle à manger, où elle a reçu Pierre Etaix à dîner, elle ouvre une boîte en carton, remplie de photos noir et blanc. Elle les commente : « ici, je portais un chapeau tout en plumes de perdrix… Dans ce salon d’essayage, nous n’avions jamais de clientes, mais qu’est-ce qu’on s’amusait !... Là, je défilais avec la mère de Vanessa Bruno… »
« Dans ma clientèle, j’avais de tout : du prêtre au ministre »
A mi-chemin entre la légèreté de Danielle Darrieux dans Les demoiselles de Rochefort et la nostalgie de Mme Jouve dans La femme d’à côté, Françoise Alt a le don du récit. De l’anecdote. Il faut dire que sa vie a tout d’un roman. « Un jour, je suis allée aider une amie, Elisa, dans son salon de coiffure pour hommes, rue La Fontaine. J’accueillais les clients, je faisais quelques shampooings. Mais, lorsque cette amie est tombée malade, j’ai dû la remplacer. Au pied levé. Il a alors fallu que je coupe les cheveux… » Ce qu’elle n’avait jamais fait. « J’ai taillé, égalisé. Le client était ravi ». C’est comme ça qu’elle a passé son brevet de coiffure « à 44 ans » et succédé à Elisa, en gardant le prénom de son amie inscrit sur la porte du salon. « Certains n’ont jamais su que je m’appelais Françoise ». Pas grave. Elle en riait. Tout comme des requêtes un peu folles de quelques « obsédés de la tondeuse ». Dans son salon, deux fauteuils seulement, « pour n’accueillir qu’un client à la fois ». Car Françoise Alt était seule pour shampooiner, couper, coiffer, balayer, encaisser et caler la radio sur FIP. « Dans ma clientèle, j’avais de tout : du prêtre au ministre, en passant par le gardien d’immeuble, le juge, le maçon, le journaliste, le photographe, le dragueur… » Un vrai QG de quartier. Quand elle l’a fermé en 2013, tous « ses hommes » sont venus au pot de départ. Comme ils doivent la regretter. Car aller « chez Françoise », c’est comme ouvrir une parenthèse. S’échapper du quotidien. Trancher avec la vision qui m’attendait en rentrant, rive gauche : Michel Houellebecq à la terrasse du Tournon, deux gardes du corps à ses côtés… Parce que l’on ne peut plus tout dire, ni tout publier dans notre époque si formidable.