Je n’ai pas trouvé tout de suite où elle habitait. Car derrière la porte de l’immeuble situé au cœur de « la campagne à Paris », du nom d’un petit îlot du 20ème arrondissement, se succédait une cour et des coursives. Mais, une fois au troisième étage, Cécile Huguenin est venue à ma rencontre. Car elle reconnaît vivre un brin cachée, « dans un petit appartement d’étudiant ». « Je suis une nomade. Un jour je suis à Paris, un autre en Bretagne, dans le Jura, en Inde ou en Afrique… » Elle se balade. Voyage léger. « Je n’ai quasiment plus de livres, sauf les plus importants ». Sur les murs de son studio : des affiches, dont celle de la version japonaise des 400 Coups, trouvée lors de l’expo Truffaut à la Cinémathèque. « C’est après avoir vu ce film que j’ai eu envie d’être psychologue pour les enfants et les adolescents ». C’était sa première vie et c’était « la faute à Truffaut ! » Sa deuxième vie ? « Je suis intervenue en entreprises, où je proposais des méthodes d’accompagnement des salariés. J’étais comme un raccommodeur de destinées », explique ce petit bout de femme au regard bleu.
Elle a tiré les tarots à deux sikhs dans un train en Inde
En jeans, pull marine et paire de santiags à fleurs aux pieds, elle vient d’actionner sa Nespresso pour faire une pause café. Puis, elle reprend le cours de son parcours : « à 60 ans, j’ai démarré ma troisième vie en m’engageant auprès des femmes indiennes et africaines par le biais du microcrédit ». Une épopée qui lui a fait faire le tour de la Terre. Mais tout s’est arrêté net avec les premiers symptômes de l’Alzheimer de son mari. « Ma quatrième vie a alors commencé ». Une autre aventure humaine, à l’issue de laquelle elle a publié, en 2011, Alzheimer, mon amour (éditions Héloïse d’Ormesson) : un récit comme un cri, traduit en trois langues, qui fait l’objet d’une pièce dont la première est prévue le 20 mars au théâtre Massenet, à Lille. « En 2012, j’ai signé une tribune dans Libé », se souvient-elle. Un billet d’humeur titré tel un coup de poing : « Alzheimer : moi aussi, j’avais décidé de tuer mon mari ». Parce qu’elle est comme ça, la dame du troisième étage : franche, directe, sans fioriture. Aujourd’hui, Cécile Huguenin a 74 ans. Elle poursuit sa quatrième vie, à moins que ce ne soit déjà sa cinquième, avec un premier roman, La Saison des mangues (éditions Héloïse d’Ormesson), qui vient de sortir en librairie. Un bouquin teinté de tolérance, partage, diversité, voyages… autant de thèmes chers à cet auteur à part. Une femme capable à la fois de tirer les tarots à deux sikhs dans un train en Inde -époque formid’ !- et tenir en haleine tout un amphi de fac de médecine en évoquant la maladie d’Alzheimer. En sa compagnie, on ne voit plus le temps passer. Elle propose un second café. Une occasion d’aborder sa passion pour Marcel Aymé : « j’ai lu La Jument verte en cachette à 10 ans. J’avais remplacé la couverture du livre par celle d’un roman de la Comtesse de Ségur, pour rassurer mes parents ». Depuis, elle n’a jamais quitté les chemins de traverse. Certes, ils sont plus longs que les autres, mais ils font les plus belles traversées et laissent les plus beaux souvenirs.