Quand on lui demande son nom, il répond : « Bruno Comtesse… comme une comtesse ». La particule et le pécule en moins, histoire de voyager léger… La première fois que nous avons travaillé ensemble, j’étais vexée : il avait cinq minutes d’avance sur moi au rendez-vous, pour prendre ses marques dans un lieu inconnu, sentir l’ambiance et trouver le bon endroit où il allait immortaliser l’architecte que nous étions venus voir. Car Bruno Comtesse est photographe. L’exercice terminé, on est allé boire un café. C’est là qu’il m’a dit : « j’habite dans le 16ème arrondissement, le dernier quartier populaire de Paris ». Pas banal dans la bouche d’un p’tit gars né dans le 10ème, ancien élève du lycée Jacques Decour et qui allait faire le marché avec sa grand-mère à Château Rouge. « Je vis dans le 16ème depuis 1986 ». Un bail. « C’est là que j’avais trouvé l’appartement le moins cher parmi tous ceux que j’avais visités ». A l’époque, c’était un coup de chance. Aujourd’hui, pour le prix d’un deux pièces dans le 9ème ou le 6ème, on en a une de plus dans le 16ème Sud. Le 16ème quoi ? Le Sud du 16ème. Arrondissement qui a aussi sa partie Nord. D’ailleurs Comtesse en a fait un bouquin, baptisé 75016 / 75116 (Factory Editions), car le 16ème a deux codes postaux et n’allez pas demander à La Poste pourquoi. Comtesse l’a fait : « personne n’a su me répondre ». L’un des mystères de Paris… Dans son livre, il a sélectionné et photographié -avec son Hasselblad- une série de halls d’immeubles, tantôt circulaires, tantôt géométriques, futuristes, en marbre, en pierre, en mosaïque… Des lieux de passage quotidiens devenus anodins. « J’aime montrer ce que l’on ne voit pas », explique le photographe. Et, au-delà des halls, le 16ème fait partie de ces quartiers dont on ne parle plus. Au risque de passer pour un réac’ à côté de la plaque, parce qu’on ne bouffe pas bio dans un quartier bobo… Et ça agace Comtesse. « Je suis issu d’une famille parisienne depuis trois générations et quand je passe aujourd’hui aux Abbesses, rue Lamarck ou rue des Martyrs, où ma famille a vécu, les bistrots branchés qui prolifèrent me dépriment ». Un brin nostalgique, l’ami Comtesse ? Pas tant que ça. S’il a aimé le walkman Sony des années 1980, il bosse volontiers sur un Apple et s’il se photographie dans une cabine téléphonique « à l’ancienne » -pour sa série d’autoportraits Do not disturb-, il est calé en musique contemporaine. Comme beaucoup, il a donc un peu le cul entre deux chaises et la tête entre deux siècles. Mais n’est-ce pas notre époque si formidable qui veut ça ?
Bruno Comtesse : www.brunocomtesse.com