Vendredi 21 septembre 2018. 19 heures. Roland Jaccard, lunettes effet miroir sur le nez, arrive à L’Ecume des pages, la librairie du boulevard Saint-Germain, pour dédicacer son excellent roman Les derniers jours d’Henri-Frédéric Amiel (Serge Safran). Gabriel Matzneff, vêtu de son éternelle saharienne, est déjà là. Il attend son pote de toujours, pilier, comme lui, de la piscine Deligny, amateur, comme lui, des traversées du jardin du Luxembourg, été comme hiver… Je me souviens d’eux dans les années 1980. En dehors de mes copains du lycée (Montaigne), ils étaient ceux que je croisais le plus souvent dans le Luco, du côté du Drugstore ou sur la plateforme du 83. J’ai bu un Perrier avec Matzneff en février 1991 au Rostand – j’ai encore la lettre, à l’en-tête des éditions de La Table Ronde, dans laquelle il me fixait rendez-vous -. Jaccard m’a dédicacé son Dictionnaire du parfait cynique, le temps d’un café, en avril 1992 au premier étage du Flore
Faire du neuf avec… des vieux
Vendredi soir à L’Ecume des pages, j’étais repartie un quart de siècle en arrière. Dans la librairie, les visiteurs du soir nous ont regardés, parfois amusés - comme Marie-Josée Croze -, parfois un brin intrigués. Quand Matzneff a voulu me donner son adresse mail, tout le monde avait un stylo, personne n’avait de feuille de papier. Jaccard, l’intrépide, a arraché la page de garde du premier bouquin qui lui est tombé sous la main. C’était le dernier Nothomb… Matzneff l’a sermonné. Jaccard s’est marré. Et je suis repartie avec le bout de papier, tel un trophée. C’est ça, faire du neuf avec… des vieux. A 77 ans pour Jaccard et 82 ans pour Matzneff, les deux complices les plus rock’n’roll de la rive gauche sont et font toujours Saint-Germain-des-Prés. Quelle chance de pouvoir encore les croiser, dans un quartier qu’aucun de nous trois n’a jamais quitté. Une certaine idée de la fidélité. Sur la page de garde de ses Derniers jours d’Henri-Frédéric Amiel, Jaccard m’a écrit : « Pour Anne, qui me fait le bonheur de me suivre depuis le naufrage de Deligny… » Tout est dit.