Il pleut. Il a quand même pris sa moto pour venir jusqu’au Jardin des Plantes. La ménagerie l’inspire. Il aime s’y balader. Peu importe la météo, il s’est équipé. Fidèle à la rive gauche parisienne, « je n’en suis jamais parti depuis ma chambre d’étudiant au Crous du boulevard Saint-Michel », Daniel Fohr flâne dans les allées peuplées de singes, panthères, reptiles, comme d’autres font du lèche-vitrine. Ancien prof, ancien journaliste, ancien publicitaire, il donne l’impression d’avoir pris le recul du sage sur son passé composé qu’il recompose le temps d’un café. Né à Alger, il se dit issu d’une « famille d’expatriés » : « On suivait nos parents d’ambassade en ambassade ». Un bac littéraire au lycée Clémenceau de Nantes, des études de lettres et d’espagnol à la Sorbonne, il va d’abord partir enseigner au Venezuela, où il signera aussi des articles pour des revues et magazines. La bougeotte, c’est héréditaire. Même s’il est le seul de sa famille à être revenu en France. Un retour qui remonte à 1985. Là, il ne veut plus être prof. La pub le tente. Surtout qu’il y voit une suite logique avec son job de journaliste : « Dans ces deux métiers, on est obligé de s’intéresser à tout. » Du sur mesure pour ce curieux de nature, qui raconte avoir pris autant de plaisir « à visiter une usine Volkswagen dans l’ex-Allemagne de l’Est qu’à découvrir une usine de camembert en France ».
Fausses publicités, robe de mariée et nouveaux horizons
Au milieu des années 1980, il frappe à la porte de l’agence TBWA, avec son CV à la main. « On m’a expliqué que ce n’était pas comme ça qu’il fallait faire… » Pour être repéré, il doit créer de fausses publicités. Il le fait, ça plait et on le bombarde « concepteur-rédacteur ». Ses faits d’armes ? On lui doit notamment le Think different de Pepsi France - revendu ensuite à Apple - ou encore La petite chaîne qui monte qui monte pour M6. Au bout de dix ans, Fohr devient directeur de création, toujours pour la « TB », mais aussi pour DDB, Australie, CLM/BBDO, Publicis, BETC, Leo Burnett… Une autre décennie se passe et le docteur en lettres co-fonde l’agence M&CSaatchi.GAD, où il en prend encore pour dix ans. Lorsqu’il évoque cette période de sa vie, il n’est ni nostalgique, ni caustique. Juste réaliste : « En trente ans, je me suis éloigné de ce pour quoi j’étais entré dans ce métier. » Son regard sur la pub aujourd’hui ? « Il n’y a plus tellement d’idées. On ne montre plus qu’un produit », commente celui qui n’a pas hésité à poser de dos, en robe de mariée, un cigare à la main, sur les marches de la Madeleine, pour les besoins d’une pub dans les années 1990. Amer ? Pas du tout. La preuve : il est volontiers intervenu sur la pub à Sciences Po « en synthétisant les choses, en prenant du recul ». Reste que ses propos ont dû ouvrir de nouveaux horizons à certains : la rumeur en provenance de la rue Saint-Guillaume laisse planer qu’un trio d’étudiants auraient renoncé à devenir concepteurs-rédacteurs en allant aux cours de Fohr.
Romans, porte-conteneurs et lycée Pasteur
Aujourd’hui, il écrit toujours. Mais plus pour des affiches, ni pour des spots. Après trois romans publiés chez Robert Laffont, Fohr vient d’en sortir un quatrième chez Slatkine & cie. Intitulé Retour à Buenos Aires, l’ouvrage embarque le lecteur à bord d’un porte-conteneurs, où un bibliothécaire voyage avec une urne funéraire… La suite ? L’auteur n’en dit rien. Il sourit, termine son café. Le teasing, il sait faire. Aller au Salon du livre ? C’est prévu, « juste pour me déprimer face au nombre impressionnant de bouquins qui sortent en même temps ». Et là, il raconte l’anecdote de sa séance de dédicace au lycée Pasteur, à Neuilly, aux côtés de Jean d’Ormesson : « Il avait lu mon roman, ce qui m’avait bluffé, et il renvoyait tous ses fans vers moi en disant : allez voir mon camarade, lui aussi a fait un bon livre. »