Elle voulait être danseuse étoile. Il rêvait de devenir footballeur. Finalement, ils écrivent… Son premier roman, Les petits poissons (PGDR), sort aujourd’hui en librairie. Lui, c’est déjà son dixième. Diffusé depuis la fin août, il s’intitule La Fille à la voiture rouge (Grasset). Ils ne se connaissaient pas. Tout juste s’étaient-ils croisés lors d’un salon du livre. Marie Céhère et Philippe Vilain ont accepté de converser ensemble, pour 1 Epok, au bar du Shangri-La. C’est le plus littéraire des cafés parisiens, puisqu’ici officie Clément Emery, le seul chef barman de la capitale passé par une khâgne.
1 Epok : Etiez-vous déjà venus au Bar Botaniste du Shangri-La ?
Marie Céhère : Non.
Philippe Vilain : Jamais.
1 Epok : Un chef barman ancien khâgneux, ça vous inspire quoi ?
Marie Céhère : Quand j’étais en khâgne, on nous disait que l’on pouvait tout faire après. On nous citait en exemple des directeurs de théâtre, des artistes, de grandes figures du monde de la culture... On nous disait que si on ratait Normale Sup, ce n’était pas grave, on pouvait intégrer Sciences Po ou HEC… C’était ça « pouvoir tout faire ». Pour moi, « pouvoir tout faire », c’était tout larguer, comme cet étudiant dont je me souviens et qui était parti travailler dans un cirque. Lui, il a su faire un usage explosif de cette soi-disant liberté que l’on donne en khâgne.
Philippe Vilain : C’est bien de voir quelqu’un qui sort des rangs conformistes. Surtout si c’est un choix. Le chef barman du Shangri-La a su « dézoner », comme on dit dans le foot (NDLR & précision de Vilain : dézoner évite d’utiliser l’expression « sortir de sa zone de confort », actuellement mise à toutes les sauces, et dézoner n’a rien à voir avec… zonard !).
1 Epok : Durant l’été, juste avant la rentrée littéraire, vous vous êtes lus réciproquement ? Quelles sont vos impressions quant au roman de l’autre ?
Philippe Vilain : Virginie, l’héroïne de Marie pourrait incarner la fille à la voiture rouge… Comme elle, elle est insolente, menteuse, fantasque, issue d’un milieu social assez élevé et, comme elle aussi, elle s’ennuie. Nos deux romans sont comme deux portraits croisés de jeunes filles qui s’ouvrent à la féminité.
Marie Céhère : Quand j’ai lu le roman de Philippe, je me suis dit Emma Parker (NDLR : l'héroïne du livre)… c’est moi !
Premier roman et sévices après vente
1 Epok : La sortie en librairie de son premier roman, ça fait quoi ?
Marie Céhère : J’ai l’impression que je vais avoir un accès plus direct avec les lecteurs, comparé à mon premier livre qui n’était pas un roman, mais un ouvrage consacré à Brigitte Bardot. C’est plutôt exaltant. Et peut-être que c’est ça, l’épanouissement de l’écrivain : avoir le retour de lecteurs qui s’identifient à un personnage, se retrouvent dans une histoire…
Philippe Vilain : Mon premier roman est sorti en 1997… Je n’ai pas eu un sentiment différent de celui que j’ai à chaque fois que je publie un nouveau livre. C’est un mélange d’attente sans attente. C’est un peu abstrait. J’attends quelque chose, mais je ne sais pas quoi. Même si c’est toujours très beau de rencontrer des lecteurs qui sont dans la compréhension du texte. Car on a envie d’être bien lu.
1 Epok : L’épreuve de la promo d’un livre qui sort, ça se gère et se digère comment ?
Philippe Vilain : L’aspect médiatique fait partie du jeu. Il faut être visible, surtout quand quelque 600 romans sortent en même temps.
Marie Céhère : C’est vrai, il faut faire le plus de bruit possible… Eh ! Regardez-moi, sinon je ne pourrais pas sortir mon prochain bouquin !
Philippe Vilain :… Mais ce n’est pas pour ça qu’on écrit. On n’écrit pas pour être connu. Il y a la télé-réalité pour ça… Reste que notre texte ne peut pas avoir d’existence sans notre personne. C’est comme pour un chanteur, un acteur… Je rêve d’un livre qui ferait sa promo tout seul !
Marie Céhère : Pour moi, ce service après vente, c’est la partie la plus pénible. On ne pense qu’à ça. A la moindre conversation, on se demande : est-ce qu’on parle de moi ? On achète la presse et on se cherche dedans… Ça dure deux mois et il faut du temps, ensuite, pour se remettre à l’écriture.
« Tout le monde est écrivain, sauf moi »
1 Epok : Pourquoi écrivez-vous ?
Marie Céhère : J’l’ai pas fait exprès…
Philippe Vilain : Je ne peux pas faire autrement…
1 Epok : Que répondez-vous à la question : que faites-vous dans la vie ?
Marie Céhère : Avant, c’était pratique, je disais : étudiante. Maintenant, j’ai du mal à répondre à la question. Souvent, je dis juste : j’écris…
Philippe Vilain : « Tout le monde est écrivain, sauf moi », a dit Sollers. Je me sens proche de ça. Et en même temps, je suis écrivain. Je ne fais que ça.
1 Epok : Votre dernier selfie ?
Marie Céhère : Un selfie de pétasse, avec la bouche en cul de poule et du blush pour creuser les joues. C’est pour être bankable sur Instagram ! Mais récemment j’en ai fait un autre, plus poétique, dans une chambre de l’hôtel Graben, à Vienne, où je me reflète dans la vitre au milieu de l’architecture décadente de la capitale autrichienne…
Philippe Vilain : Mon dernier selfie, c’était aux Nocturnes littéraires du Morbihan, organisées par Pierre Défendini (NDLR : et son premier selfie, c’était avec Zlatan, rue Dauphine…).
Personnage de roman et écrivains d’Etat
1 Epok : Selon vous, est-ce bien raisonnable de comparer l’actuel président de la République à « Un personnage de roman », comme le fait Philippe Besson dans son dernier livre ?
Philippe Vilain : Cette littérature d’accompagnement du pouvoir pourrait s’apparenter à ce qui se faisait dans l’URSS d’autrefois, avec les écrivains d’Etat.
Marie Céhère : Quelque chose me dérange. C’est comme une sorte de mensonge. Macron a transcendé sa fonction, alors qu’il n’est qu’en début de mandat. C’est un peu déplacé. On peut même se demander si Macron n’est pas l’homme d’action qu’on croit, mais juste… un personnage de roman. Par contre, prendre des personnages publics pour s’en servir dans un roman, je suis pour. En tant qu’écrivains, notre devoir est même de connaître cette réalité.
1 Epok : Une génération vous sépare, mais pas la Seine, car vous habitez tous les deux sur la rive gauche. Alors, allez-vous vous revoir ?
Philippe Vilain & Marie Céhère : Oui !
1 Epok : Et qu’allez-vous faire là, tout de suite, en sortant du Shangri-La ?
Philippe Vilain : Ça dépend de la météo…
Marie Céhère : Je vais rentrer chez moi et commencer à lire le dernier Liberati.