La première fois que j’ai déjeuné à une table d’hôtes, c’était au début des années 1990, sur Madison Avenue, à Manhattan. J’avais aimé la facilité et la simplicité avec lesquelles les voisins d’un même banc en bois se parlaient, sans se connaître. Et pas juste pour se dire « passe-moi le sel ». Quelques années plus tard, rebelote à Montréal, Londres, Bruxelles… Il suffisait de s’installer devant un café ou une salade et on refaisait le monde avec une étudiante, un retraité, un pilier de bars, une mère de famille… Lorsque le concept est arrivé à Paris, on aurait pu penser que le copier-coller allait fonctionner. En terme de bouffe, oui. De déco aussi. Mais côté convivialité, dur à décoincer le type en costard, impossible à détourner la nana aux écouteurs sur les oreilles. Alors, aujourd’hui, quand on a eu la chance de pousser - en avant-première - la porte du Comptoir Poilâne, rue du Cherche-Midi, on a pris ça comme une bouffée d’air.
Tartines, cakes, Pauline à la plage et selfies
Mitoyen de la boulangerie éponyme, ce Comptoir s’articule autour de plusieurs tables d’hôtes. De longues tables en bois blond, autour desquelles le placement s’organise avec beaucoup de subtilité. Il faut se laisser faire. Aujourd’hui, c’est Apollonia Poilâne qui officiait. Résultat : on s’est retrouvés aux côtés d’une mère et son fils. Ils se sont présentés, sans trop en dire d'emblée : « Evelyn, je suis une communicante. » « Blaise, je suis comédien. » Au fil des échanges, des tartines, soupes et autres cakes déposés sur la table, la première s’est révélée être une figure influente de la pub, le second, un ancien élève-comédien à la Comédie Française, membre du Collectif Colette. Collectif qui, après avoir adapté Pauline à la plage au théâtre, s’apprête à mettre en scène et interpréter la seule et unique pièce écrite par Rohmer, Trio en mi-bémol. Autant dire qu’on était loin des bavardages, selfies, précieuses ridicules et autres Rastignac qui hantent certains lieux aseptisés ou dénaturés du quartier. Moment à part. Délicieuse table d’hôtes. Aucune sonnerie d’insupportable portable n’est venue polluer ce brunch dominical. L’adresse est à retenir. Et le Collectif Colette, à découvrir.