« Ma nouvelle vie, c’est les cheveux longs et les lunettes. J’ai perdu mon nom, mais j’ai retrouvé une identité. » A 49 ans, Karine Arabian prend du recul. Non pas pour faire un bilan. Plutôt pour s’ouvrir sur l’avenir. Car elle a encore des choses à dire et à faire. Fini le burn out du début des années 2010, lorsqu’elle décide de claquer la porte de la maison qu’elle a créée en 2000 et qui porte toujours son nom. Une maison devenue marque. Une marque désormais sans visage. « A 40 ans, je ne pensais qu’au boulot. Ma vie privée, c’était zéro. Ma vie sociale, banale », confie Arabian, la surdouée repérée dès 1993 par Swarovski, alors qu’elle vient de gagner le Concours international de la mode à Hyères. Elle n’a que 26 ans. Ses diplômes d’Esmod et du studio Berçot en poche, elle ne sait pas dessiner, « mais tout se passe dans ma tête ». Ses premiers bijoux ? Elle les a créés au début des années 1990 : « C’était spontané, très bricolo… » N’empêche qu’Harrods lui en achète. Après Swarovski, où elle a imaginé des lignes de bijoux en cristal, c’est Chanel qui la veut. Son boss : Lagerfeld. Son job : concevoir des accessoires. « Je n’aime pas ce mot », explique Arabian. Pour cette fille de tailleur, les accessoires sont obligatoires : « Je veux les hisser au même niveau que les vêtements. »
Pic de notoriété, Arménie, succès et constat d’échec
En 2000, elle prend son indépendance. Elle s’associe à son cousin et crée sa propre marque : « Je me lance dans les chaussures, la maroquinerie et les bijoux. » Mais, très vite, les souliers prennent le pas sur le reste. Car le métier est plus que chronophage. « Ça va durer treize ans », raconte Arabian. Avec un pic de notoriété en 2007 : à l'occasion de l'année de l'Arménie en France, elle expose de mai à septembre une rétrospective de ses créations au Musée de la mode de Marseille. C’est le succès. « Mais je n’avais personne avec qui le partager, ce succès. » Pour elle, c’est un constat d’échec. C’est aussi le début d’une fin. « Au boulot, ça n’allait plus. On m’imposait beaucoup de choses. J’avais honte de ce que je faisais. Car tout ce qui sortait en boutiques n’était pas totalement issu de ma créativité. Karine Arabian, ce n’était plus moi. » Une crise et une prise de conscience qui s’accentuent lorsqu’elle commence à renouer avec des amis, sortir à nouveau le soir, rencontrer Franck, déménager… « Tout ça a mis encore plus en lumière tout ce qui n’allait plus au boulot. »
Pyjama, liberté, pop-corn et Nick Cave
En 2013, elle quitte sa boîte. A l’amiable. Malgré cela, l’atterrissage est dur. « Je restais chez moi des jours entiers en pyjama. » Heureusement, elle n’est plus seule. « J'ai puisé dans ma culture arménienne, dans mes souvenirs d’enfance et dans la famille que j’ai moi-même créée. Je me suis réappropriée mon identité. » Aujourd’hui, elle recherche des investisseurs pour un projet de maison de luxe, « avec Franck », où elle mêlerait « souliers, maroquinerie, accessoires de préciosité ». Les objets sont déjà « pensés et dessinés ». « Le décrassage est terminé, dit-elle. Je dois, à présent, réapprivoiser la liberté. » Et cela passe par du pop-corn qu’elle prépare un samedi après-midi, chez elle dans le 10ème, ou encore par le récit de ses cours de danse et de piano, quand elle était gamine : « A l’époque, j’étais trop timide, je n’osais pas rentrer chez un disquaire, » se souvient cette fan de Nick Cave. Quant à son premier voyage en Angleterre : « J’avais 12 ans, je suis partie en portant des jupes plissées et un chignon. Je suis rentrée… ska ! »