Poser un ton et un regard sur le monde de la déco : la presse spécialisée le fait déjà. Mais sous l’influence d’annonceurs, de « tendanceurs ». Quand on décide de se balader dans les showrooms ouverts durant Paris Déco Off et les allées de Maison & Objet, à Villepinte, sans aucune contrainte, ça change la donne. Car on s’arrête où l’on veut. On rentre, on sort. On s’attarde ou pas, selon l’ambiance, les têtes connues, reconnues, les faux amis, les vrais copains. Aucune obligation. Pas de courbettes à faire. Juste des étapes, des rencontres, des petits fours et des fous rires.
Mère et fille, tubes et bulles
Au carrefour Bac-Saint Germain, il n’y avait que l’embarras du choix. Car tout le gratin de la déco s’est désormais installé là. C’est le quartier du mobilier chic et souvent cher. J’ai même surpris une conversation, dans le bus 83, où la mère ne disait pas à sa fille de 6 ans : « ta barrette a dû glisser sous le coussin de la chaise », mais « ta barrette a dû glisser sous le coussin de la Saarinen ». Les ravages du vintage chez les nouveaux riches de la rive gauche… Il n’en demeure pas moins que la première escale d’1 Epok a été chez Cappellini, qui flirte justement avec ce sacro-saint vintage en rééditant la Tube Chair, dessinée en 1969 par Joe Colombo. Modulable en une dizaine de positions différentes, les tubes de cette assise s’assemblent entre eux grâce à des crochets. Un subtil jeu de construction pour un fauteuil volontairement déstructuré. Le tout sous l’effet des bulles non pas d’un verre de Ferrarelle, mais d’une coupe de Ferrari.
Quelques dizaines de mètres plus loin, il y avait foule chez Cassina. Normal : l’éditeur italien soufflait ses 90 bougies. L’occase de montrer les Casiers Standard du trio Le Corbusier-Jeanneret-Perriand, réédités cette année : du vintage, encore et encore. « Cocktail party » disait le carton d’invitation. Du coup, ça picolait et ça picorait. Même pendant l’allocution de Ginaluca Armento, le PDG de Cassina. On a aperçu la journaliste Aurélia Grandel de Keating, chipé un petit four, shooté la Brionvega, avant de traverser la Seine. Direction : la maison Pierre Frey, rue du Mail.
Le showroom était sur le point de fermer. Enfin presque. « Venez au bar. Il reste du champagne… » On sait recevoir chez Pierre Frey. Même les retardataires. On a donc pu boire et tout voir. A commencer par la vitrine mise en scène par la styliste italienne Martina Mondadori, qui a mis à l’honneur la collection GIO de Fadini Borghi, inspirée par le Bauhaus. Autre clin d’œil au passé : la renaissance du concept Natecru, contraction des mots « nature » et « écru », imaginé par Patrick Frey dans les années 1980. L’idée est simple : faire du beau avec du brut. On marie les lins, laine alpaga, cachemire, mohair à la filature, au tissage et à une gamme de blancs, écrus, beiges, gris… Un pari très réussi. On a refait le monde avec Dorothée, demandé des nouvelles de Jordane, re-shooté le Bottin Mondain, fermé la porte du showroom avant que les lumières ne s’éteignent et l’alarme ne soit mise en marche.
Bords de Loire, vue sur l’océan et perruque rose fluo
Paris soudain plongé dans le froid et la nuit. Qu’à cela ne tienne ! On a continué la virée. A pied. Emmitouflés. Vers le Marais. Rien de tel pour s’aérer et s’arrêter, en cours de route, avec les fondateurs de Scandinavia Design : Martin et Helena, venus de Gennes et ses bords de Loire pour découvrir les nouveautés Fritz Hansen dans le showroom Kvadrat, rue Charlot. Un showroom où d’aucuns redoutaient l’ennui. Erreur. On a parlé Bretagne, gare Montparnasse, Thonet et vue sur l’océan avec Ronan Bouroullec, venu fêter la nouvelle édition des Ready Made Curtains, créés avec son frère Erwan. On a refait le monde avec la designer Stéphanie Marin (Smarin), sa fille Joséphine - sans sa perruque rose fluo - et son fils Zac, batteur du groupe Hyphen Hyphen. La discussion a dérivé vers les variations sur le silence orchestrées au salon Maison & Objet, à Villepinte. Le silence à une station de RER des pistes de Roissy, on a voulu voir ça de plus près…
RER, sandwich et vallée d’Ossau
Lundi, le ticket de métro annonçait « Jour de pollution ». Comme le thème d’une fête, d’une soirée, d’un doux moment à passer : tu parles… Validé à la station Saint-Michel du RER B, le sésame a permis de rejoindre Villepinte. C’est dans le hall 7 que se cachait l’espace « Inspiration » avec cette drôle d’invitation au silence. Un silence qu’on a cherché, en vain, entre les bavardages des visiteurs, les bruits de sandwiches sortis de leur cellophane, les portables qui sonnaient, les copines qui s’appelaient. Ce qui n’empêchait pas certains de s’étendre et se détendre sur les Galets et les méridiennes Dunes signées Smarin. Avec ou sans sandwich à la main. Entre foire expo et foire d’empoigne dans les files d’attente des cafés éphémères, Maison & Objet ne donnait pas envie de s’attarder. Le dernier arrêt - sans buffet - a été chez Yann Bourigault, dont la jeune maison, Versant Edition, présentait ses premières créations. Un fauteuil, un canapé, des tables, une lampe à poser… des objets du quotidien, inspirés par la simplicité, le trait juste de designers déjà cotés, le savoir-faire d’artisans et le silence de la vallée d’Ossau, au cœur du parc national des Pyrénées, où s’est installé Bourigault. De retour à Paris, pour renouer avec cette quête du silence, il a fallu renoncer à faire la queue devant les Arts déco, pour le lancement du Graphic design festival, et préférer traverser la Cour Carrée désertée, car glacée.